C’était exactement le même jour. Tout était semblable, les mêmes rues, les mêmes visages et les mêmes réverbères aveuglants qui encadrait ce bon vieux Broadway. Je fronçai les sourcils en regardant le sol. J’avais foulé cette ruelle un million de fois, et à chaque fois, j’en ressortais le cœur gros. Je ravalais mes larmes. Ma panthère rugit devant un tel affront. J’étais une héritière, je n’avais pas le droit à la faiblesse, ni aux actes altruistes qui caractérisaient la race humaine. Un éclat doré brilla au coin de mes yeux alors que je déviais à gauche en direction du golden theater.

Marche, marche fillette.

Parfois en l’entendant parler, j’avais l’impression de revivre cette scène effrayante où par une sombre nuit d'automne la maîtresse de mon père avait débarqué chez nous, transformée en une énorme bête neige. Elle avait saisit ma mère par la gorge avant d’éclater la tête de mon père contre un meuble. Je ris d’un air mesquin. Avec le recul, je trouvais ça presque drôle, digne des bons vieux thrillers Américains. Un soupir m’échappa alors que je traversais nonchalamment la rue. Mon sac PRADA qui pendouillait au bout de mon avant bras droit me gênait dans ma démarche mais à aucun moment je ne perdis de mon impérialité. Je le savais, car je suivais les contours de ma silhouette dans les vitrines. J’étais assez narcissique pour ça ! Le bruit de mes talons m’accompagnait tout au long du trajet, ce son si désagréable à l’oreille était mon seul compagnon. Je me sentais moins seule, peut-être même moins orpheline. Je me sentis soudain bête de penser comme ça. J’avais perdu mes parents mais j’avais gagné un empire qui m'était sûrement plus utile. En tout cas c'est pour ça que tout le monde m'enviait, non ? Un rictus arrogant déforma le coin des mes lèvres fines.

Il est venu. Je sens son odeur.

« Moi aussi. » Soufflai-je envoûtée.

Le vent venait à moi chargé de senteurs délicieuses. Mon cœur, et oui j’en avais un, rata un battement. C’était stupide de tomber aussi bas, avoir des sentiments pour un simple mortel. Mais Ethan n’était pas n’importe qui. Il était comme moi. Je l’avais assez côtoyé pour voire en lui cette même douleur cuisante. L’abandon. La solitude. La haine. Nous étions pareils dans notre douleur, et c’était exactement le même jour. Je sentis la bile me monter.

L'anniversaire de leur mort.

« Tu es venu. » Raillai-je en me postant dans son dos. « Oups, je suis désolée mais j’ai oublié ta sœur dans le placard. Elle ne souffre pas de claustrophobie au moins ? » M’enquis-je d’un air faussement intéressé.

Je sentais mon sang ne faire qu'un tour, mes points restaient aussi serrés que mes dents... Le regard fixe, l'air sérieux, j'avançais en direction de celle qui m'avait pris ma petite soeur, tout ce qu'il me restais de précieux ici bas. Est-ce qu'elle était avec elle ? Je ne savais pas, elle m'avait juste demandé de venir et comme un petit chien, je me devais d'obéir. Je ne pouvais pas refuser, je n'en avais pas le droit, pour ma soeur, je me devais d'y aller. Alors j'avançais... Le temps était devenu long ces derniers mois, il ne passait plus, semblant s'être arrêté pour alourdir mon tourment. Pourtant avec du recul, beaucoup de temps s'était en fin de compte écoulé... Trop peut-être, pauvre soeur... Je me devais d'arrêter tout cela, d'arrêter de lutter, il fallait que je la sorte de là, qu'il faille que je sacrifie m'a propre vie ou non. J'avais promis à maman que je la protégerais toujours et c'est ce que je ferais quoi que cela m'en coute.

J'arrivais enfin, mon coeur se serrait à la senteur qu'elle était là, quelque part, cherché de mon regard tendis que je descendais de la voiture après m'être garé dans une rue non loin de mon point de rendez vous. Une grande inspiration et je sortais de mon auto pour commencer à marcher vers celle qui dirigeait mon destin à présent. Le pas lent, calme, sur de moi malgré l'oppression intérieur, j'avançais vers le Golden Theater afin d'y rejoindre celle qui m'y avait invité. Je n'étais pas venu armé, non, pas face à elle s'était bien trop risqué. Je ne voulais pas que ma soeur paye pour une tentative de trop. Et j'avais promis de venir ainsi. Quelques pas, une rue de traversé et voilà que j'étais arrivé. Une nouvelle inspiration à l'approche du grand bâtiment qui était mon point de non retour, je m'arrêtais un instant à le regarder quand soudain sa voie me frappa le coeur ;

« Tu es venu. Oups, je suis désolée mais j’ai oublié ta sœur dans le placard. Elle ne souffre pas de claustrophobie au moins ? »

Mon point se serra de nouveau à l'écoute de ces mots provocateur et blessant, j'avais envi de m'en mordre la lèvre mais je me devais de ne rien laisser paraitre, non, pas face à elle. Rester ferme, fort, voilà ce que je devais pour l'instant. Je me contentais donc de répondre froidement ;

- Oui.. Je suis là comme tu l'as demandé...

Je me retournais enfin pour lui faire face de front, elle qui se tenait juste là dans mon dos 5 secondes auparavant. La fixant droit dans les yeux je continuais ;

- J'espère pour toi qu'elle va bien...

Il n’y avait que lui et moi. Les gens, le bruit, et toute la planète se perdait quelque part dans un recoin sombre et reclus. Ses yeux emplis de haine étaient ma seule salvation, c’était mieux que l’air crédule qu’il avait arboré en découvrant mes sentiments à son égard. Le cadran de l’horloge accrochée derrière lui s’était arrêté. Le temps
n’existait pas, et la bête non plus. Je fis la moue durant une fraction de seconde avant de me reprendre.

Ethan, tu fais de moi une humaine à nouveau.

Je ravalai mes larmes et ma douleur en lui souriant. Je restai planté là, le dévisageant comme si c’était la première fois que l’on se rencontrait. J’avais du mal à respirer, et les battements effrénés de mon cœur ne m’aidaient pas beaucoup. Je crispai les mains autour des pans de ma robe. Pourquoi, lui, parmi tant d’autres ?

« Je t’ai menti, mais tu ne serais pas venu sinon. »

Je déviai les yeux, évitant de le regarder.

Ma faiblesse, ma seule et unique. L’amour. Car j’étais sûr que ce n’était pas qu’un caprice d’héritière, ce n’était pas non plus une obsession féline. Ethan avait été mon seul ami, et il m’avait rejeté comme tous les autres. Je soupirai en laissant ma panthère prendre le dessus. Un éclair insalubre s’incrusta dans mon regard expressif pour balayer toutes mes émotions mal contenues. Ethan, je m’accrocherais à toi. Jusqu’au bout …
Je me sentis défaillir. Je disparaissais dans un dernier vague à l’âme, quelque part dans l’immensité de noir qui gouvernait mon âme souillée. C’était moi, mais je n’étais plus là. La bête miaula avant de le rejoindre. Ce premier pas, j’étais incapable de le faire par moi-même. Je continue de m’accrocher …

« Tu n’es pas en mesure de me menacer… » Sifflai-je d’une voix qui n’était plus la mienne.

Je posai une main sur son épaule avant d’effleurer son visage à la va vite. Il y avait une part en moi qui le voulait de toutes ses forces. Une part qui rendait mes menaces de morts, où mes tons tragiques, si ridicules. Les extrémités de mes doigts s’élargirent laissant place à des griffes acérées et revêtus d’écailles de vernis fushia. Je clignai des yeux …

« J’ai du mal à envisager un tel dénouement, mais si je le dois … Tu mourras. Même si ça me brise le cœur … Je suis ce genre de personne. » Grognai-je. « Je ne suis même pas une personne. Je suis un monstre. Ta sœur te raconteras, si un jour tu la retrouves … pour ça il ne faudra pas me contrarier. »

L’air me manquait. Je n’aurais jamais cru qu’un cœur brisé pouvait continuer de battre, et pourtant le mien partait dans tous les sens. Je déglutis. Grâce à la panthère qui hantait mon esprit, j’arrivais à trouver la guérison en pleine douleur. C’était si fascinant, mais ma peine était la force.

J’étais dérangée. Un air démentiel vint ternir les traits normalement doux de mon visage. Je tendis ma main en pleine mutation vers lui.

« Regarde. C’est beau. »

Mes yeux s’écarquillèrent. Etre un monstre c’était génial. Etre un garou, c’était le comble du bonheur. Je me le répétais souvent dans l’espoir d’y croire un jour. Ethan, nous sommes pareils. Tu as perdue une sœur. Et moi, je t’ai perdu.

« Tu veux la voire, je suppose. Je t’y emmènerais à une seule condition. » Riais-je. « Reste avec moi ce soir. » Lançai-je pince sans aucune gêne.

Quel jour étais-ce ? Quelle saison ?

L’horloge était toujours bloquée. Je lui lançai un regard charmeur sans me départir de mon arrogance. Je savais que je lui étais antipathique. Il devait me trouver suffisante et complètement à côté de la plaque. Et il avait tellement raison, que je ne lui en voulais même pas. Son seul crime, avait été de me laisser entrevoir une lueur d’espoir en lui.

Je t’aime.

« Entrons. » Sifflai-je froidement en lui signifiant de me prendre la main. « La comédie musicale va commencer. »