PV : Daemon J. Forbes vs Morgan J.Forbes

Je levai les yeux vers le ciel sombre. Un sentiment de plénitude s’empara de moi alors que je respirai l’air à plein poumons. Mon reflet sur le marbre noir me rappelait qui j’étais : Une bête sanguinaire et sans le moindre scrupule. Mon âme avait finit par sombrer dans les abîmes de mon corps. Après tout ce temps, j’avais perdu mon cœur d’enfant. L’âge d’un incube c’est sa puissance et son rang. C’était aussi toute sa déception et ses regrets.
Je revenais souvent ici ; au sommet de l’empire state building. Avant que le toit ne devienne une attraction touristique, puis un vrai tas de ruines j’avais l’habitude de m’y refugier afin de lire et de cogiter sur mes fonctions de futur alpha rat. Ah … C’était trop loin à présent. Je roulai les yeux en regardant les tas de corps ensevelis sous les poutres et la poussière. Il y avait du sang partout mais ça ne puait pas. Je fronçai les sourcils. Voilà ou j’en étais des décennies plus tard : A tuer les miens par cupidité.

Je sortis une cigarette de ma poche. La fumée qui emplissait ma bouche puis mes poumons apaisait mes souvenirs. Je voulais tout oublier, déchiqueter les photos et les visages de mes parents. J’avais vécu une vie pourrie, vouée à l’errance et à la trahison. Et dire que tout cela avait commencé par un simple rejet. Je soupirai. Mon désir de dominer n’était pas inné. Il m’était venu avec le temps, quelques années après mon exil. « Peut-être que si père avait était plus compréhensif et plus apte à pardonner ma différence … J’aurai peut-être pu rester en tant que larbin. » Cela ne m’aurait pas dérangé du moment que j’étais resté intègre parmi les miens. Je me plaisais à prendre les choses de cette façon. Ou plutôt je préférai y penser comme ça même si je savais au fond de moi que ce n’était qu’une illusion. Je n’étais pas un homme comme les autres. Je n’étais même pas un homme.

Le mégot se consumait au fur et à mesure que des pensées malsaines fleurissaient dans mon cerveau en compote. Je déglutis en sentant le froid agresser ma peau translucide. Mes mains tremblantes et sèches me faisaient légèrement souffrir. C’était un mal pour un bien, parce qu’il me procurait un certain plaisir. La douleur nourrissait mon corps inerte. Les angoisses et la peur fermentaient mon envie de vivre et de Reigner. C’était dingue de vivre à l’opposé des gens. C’était aussi singulier et différent … que moi.

La porte derrière moi claqua tout à coup. Un courant d’air vint ébouriffer mes cheveux et imprégner mes narines d’odeurs nouvelles. Je sentis enfin l’odeur de la mort et de la pourriture en moi. Je n’avais pas tué tous ces gens de mon gré. J’y avais était forcé, d’une certaine manière. C’est cela, j’étais obligé de tuer afin de mieux dominer et de me faire respecter. Mon regard se posa une deuxième fois sur les cadavres … Toutes races confondues, incubes inclus. Je souris … Oups, I have done it again.

« Trahir les gens … Décevoir les gens …
C’ést tout moi. N’est-ce pas Morgan ? »

J’avais senti sa présence, à la seconde où il avait franchit la porte d’entrée. Il puait la sournoiserie et la fierté à des KM à la ronde.

« Tu savais que je serais là ? »

J'en avais assez de glander devant mon pc. J'avais un pressentiment. Quelque chose m'attirait dehors. Quelque chose de mauvais. Je le sentais au fond de moi, quelque chose perturbait l'air autour de moi. Le retour des Incubes en force ? Non, c'était plus léger. Les Hunters ? Non, ça ne puait pas la stupidité. Alors quoi ? Ne suivant que mon instinct, je mis en veille mon pc en coupant la connexion internet. Je pris ma veste, et la jetais négligemment sur mon épaule dans un geste impatient. Puis, je sortis de mon petit appartement en prenant soin d'éteindre toutes les lumières.

Sortant de mon immeuble, je pris le temps de humer l'air de la ville. New York avait tellement changer. Je soupirais de lassitude. Ce n'était pas le moment de m'attrister sur le sort de la ville qui m'avait vu grandir, souffrir, murir et rire. Cette ville me représentait tellement. J'avais tout fait ici. Enfin, il était inutile de ressasser le passé. J'avançais dans les rues dans lesquelles j'avais joué, il y a longtemps, et qui aujourd'hui ressemblait à des ruines. Non, en fait, c'était des ruines. Depuis le retour de Daemon. Depuis le retour de celui que j'avais considéré comme un presque frère et qui en fait n'était qu'un traître. Pourquoi avait-il choisi cette voie ?

Mais là encore, ce n'était pas le moment de ressasser ça. J'en avais marre de penser à lui. Je ne pouvais plus rien pour lui aujourd'hui, et je n'allais pas moi même retourner le couteau dans la plaie. Je soupirais, et laissait mes pieds m'emmener là où mon intuition me disait d'aller. Et sans m'en rendre compte, les quartiers plus ou moins malfamés de New York défilaient sous mes pieds. Et bientôt j'arrivais dans les quartiers des loups, ou je me faisais un petit pour passer inaperçu. On s'entendait certes uniquement pour pouvoir se battre contre les Incubes, mais à part ça, il ne fallait pas non plus aller chercher plus loin. Enfin, j'espérais ne pas trop faire de vaque et que mon passage assez inaperçu. J'arrivais bientôt à ce qu'il restait de l'Empire State Bulding.

L'aura noire venait de là. Les ondes négatives venaient du toit. Je soupirais. Seul je ne pourrais rien contre Lui. Oui, je savais que c'était Lui. Il n'y avait que Lui pour venir ici. Et seul, je pouvais rien. Je n'avais même aucune chance s'il lui venait la stupide idée de vouloir s'en prendre à moi. Qu'importe, je voulais le voir. Je devais être un peu maso sur les bords, mais je voulais comprendre. Comprendre ses choix, ce que je n'avais compris. Je décidais de monter les marches qui restaient, enjambant les cadavres, faisant tout pour ne pas regarder ce qu'il restait des corps. En arrivant sur le toit, une bourrasque plus violente ouvrit la porte pour moi. Je savais qu'il m'avait senti, je savais qu'il savait que j'étais là.

▬ Tu n'as pas l'air de vouloir t'en repentir pour autant, cinglais-je, en réponse à son salut. Et oui, je le savais, tu venais toujours ici, quand ça n'allait pas avant ... La question est : est-ce que ça va vraiment mal ? Tu as l'air de pas trop mal t'en sortir ces derniers temps, crachais-je avec mépris.

Cela ne m'empêcha pas pour autant de venir m'asseoir sur le rebord d'un éboulis près de lui, en gardant mes distances toute fois. Pas que j'avais peur. Non, juste pas confiance. Et je regardait avec mélancolie ce qui restait de New York.

Il calculait un peu trop ses gestes à mon gout. Il devait sûrement avoir retenu la leçon : On ne fait pas confiance deux fois au diable. Je déglutis. Ma propre salive avait un arrière gout amer. Cela devait être la fatigue, ou la présence puante du jeune rat. Je fis une grimace en le regardant. Il avait l’air plus mûr que la dernière fois. Être l’Alpha ça devait être bien pour la mine.

_ Et oui, je le savais, tu venais toujours ici, quand ça n'allait pas avant ... La question est : est-ce que ça va vraiment mal ? Tu as l'air de pas trop mal t'en sortir ces derniers temps.

Il m’avait coupé dans mes réflexions avec cette affirmation acerbe. Je clignai des yeux en regardant l’horizon. La nuit enveloppait Manhattan et ses ruines d’un voile maléfique, c’était … Apaisant de voire le côté obscur l’emporter. Je crois même que c’est pour cette raison que j’aimais tant m’isoler sur le toit de l’empire state building. Je respirai le sang à plein poumon. La mort commençait à sentir petit à petit, je regardai un cadavre éventré puis un autre empalé sur une barrière de protection. J’aimais les odeurs fortes, pas pour le parfum mais pour le souvenir. Elles me rappelaient mon ancienne vie de garou. A l’époque de l’insouciance, ou je ne m’attendais pas à recevoir une telle gifle du destin. Je reportai mon attention sur Morgan, toujours aussi silencieux.

« Tu crois bien me connaitre n’est-ce pas ? Tout cela parce que j’ai joué à la babysitter quelques temps avec toi. » Sifflai-je d’un ton sarcastique. « Pourquoi es-tu monté alors que tu savais pertinemment que je serais là ? N’as-tu pas peur de la mort ? Ou crois-tu que je te tiendrais en pitié au nom du bon vieux temps ? » Je ricanai. « Bien sur je n’évoque même pas l’hypothèse du ‘ je suis assez fort pour le vaincre’, tu es arrogant mais je ne te crois pas stupide pour autant. Il y a du Forbes en toi mine de rien. »

Je passai une main nerveuse dans ma chevelure de jais. L’alcool, et le manque de sexe m’avaient quelque peu engourdi. Certes pas au point de m’empêcher de commettre un meurtre collectif, mais je me sentais tout de même affaibli. Je ne comprenais pas cet effet des substances alcoolisées sur mon corps. J’étais pris pour mort, mon âme revenait au monde des enfers et pourtant je continuais à avoir mes faiblesses. A croire que personne n’était à 100% parfait, même pas moi.

« Ça doit être bien d’être l’Alpha. » Souris-je. « Au fond toi aussi tu as pris ma place, n’est-ce pas un échange équivalent ? »

Je troquai toutes ces vies que j’avais décimées contre un statut bidon. Ah ma connacité n’avait aucune limite, mais c’était tordant de voire les réactions patriotiques du jeune rat s’afficher sur son visage d’habitude inexpressif. Parfois, je le trouvais fascinant dans ses retranchements et son dévouement pour le clan qui m’avait jeté comme une vielle chaussette. C’était d’une ironie !

Je m'attendais à son ironie, toujours aussi mordante, malgré les années qui nous avaient séparé. Je poussais un soupire à fendre l'âme. Bien qu'il n'en ai plus. Enfin, je n'étais pas venu là pour ça. Je ne sais pas trop ce qui m'a pris de monter lui parler. Je n'ai aucune chance contre lui. Mais je n'avais de toute manière pas l'intention de m'en prendre à lui. Je voulais juste comprendre.

▬ Je n'ai pas cette prétention. En fait, je ne t'ai jamais compris, avouais-je, ce n'était pas la meilleure chose à faire, mais tant pis.Je n'ai pas peur de la mort non. En fait, je ne sais même pas pourquoi je suis monté. J'en avais juste envie. Peut-être voudrais-je comprendre, tout en sachant que de toute manière tu ne m'expliqueras pas alors ... Bizarrement, je sais, sans savoir d'où ça vient, que tu avais besoin que je sois là. Peut-être as-tu envie de parler ... Et après tu me tueras, parce que tu ne l'admettras pas, mais ça t'auras fait un peu plaisir. C'est tellement naïf de ma part ...

Pourquoi m'étendais-je ainsi sur ses états d'âme, je devrais le tuer sur le champ pour ce qu'il a fait à l'humanité. Mais je n'y arrivais pas. Je ne pouvais pas me résoudre à faire ça. C'était impensable, s'il doit mourir, ce ne sera pas de ma main. Je serais incapable d'un tel geste. Il comptait trop pour moi, je ne pouvais pas faire ça. Même si le devoir m'obligeait à le faire. Je devais le faire, il allait recommencer à tuer sous peu. Je le savais au plus profond de moi. Il était en manque, ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne se remette en chasse. Et moi, je me maudissais d'être trop faible pour espérer pouvoir l'arrêter. Même le ralentir est en dehors de mes capacités. Du moins, si je suis seul, parce qu'en groupe, il ne s'en tirerait pas aussi facilement.

▬ Tu dérailles, Daemon, souriais-je, si j'avais des doutes quand à sa démence, ces doutes n'étaient plus permis actuellement. Je n'ai pris la place de personne, elle m'a été donné parce qu'un idiot a cru bon de penser que s'il devenait Incube, il serait plus fort. Je n'ai fais aucun échange avec toi.

L'insulter n'était pas la meilleure des choses à faire, mais visiblement, il avait envie de parler, et moi je ne voulais pas le laisser partir. Finalement, je ne lui pardonnais rien. La blessure était encore trop récente pour être effacée, pour que je lui parle comme si de rien n'était, ou bien agir et le tuer avant qu'il ne le fasse. J'étais en danger, là en haut des ruines de l'Empire State, à regarder le soleil mourir en étant même pas sur de pouvoir le voir de nouveau se lever. Pourtant, j'étais bien. Les années s'effaçaient et je redevenais le môme que j'avais été, avide de savoir devant celui que je considérais autrefois comme un grand frère. Mais les choses avaient tellement changé depuis. J'avais aussi changé. Du moins, l'espérais-je sincèrement. En bien, ou en mal, je ne sais pas. Mais il y avait des jours comme ça où j'avais envie que rien ne se soit passé.

Je tremblai. Mon cœur battait comme un marteau : Fort et brutalement. J’étais réellement vivant … Je veux dire que j’étais encore … Humain. Je regardais mes mains se crisper puis serrer la poussière grise qui s’échappait des ruines. Il était difficile, dans certaines conditions, d’être tendre ou sobre. C’était douloureux, mais pas le genre de douleur qu’aimaient les incubes. C’était mal. Je clignai des yeux.

« Tais-toi ! » Hurlai-je dans un excès d’impatience.

Je n’avais aucun compte à lui rendre. Aucun !

Les choses ne s’étaient pas passées de la façon qu’il croyait. Je n’étais pas le seul fautif de ces crimes humanitaires. Les anciens rats m’y avaient poussé. Ils m’avaient poussé à bout en me chassant ! Je fronçai les sourcils. Je comprenais sa curiosité et son désir de tout savoir. Au fond, c’était un trait caractériel des rats-garous. Je ne le savais que trop bien, mais je ne parlerais pas. Il ne l’aurait pas supporté. Je le savais trop fier de son rang et des siens. Je me surpris à vouloir le protéger de la désillusion. Passer pour le méchant de service ne me dérangeait pas tant que ça en fait. Du moment ou je savais ou j’allais et ce que je faisais.

« Tu idéalises vraiment les rats, n’est-ce pas ? »

Un rire mesquin m’échappa tout du moins. Il croyait que j’étais avide de pouvoir et de force. Que j’avais délibérément rejoint les incubes afin de dominer le monde. C’était une version qui tenait la route. Digne des grands romans policiers ! Ma bouche me démangeait de ces vérités que je refusais de prononcer … Pour lui. Je l’aimais bien quand même, et même si je clamais le contraire … Je l’aurai laissé vivre non pas par clémence mais en souvenir du bon vieux temps. Je déglutis. Je connaissais Morgan depuis qu’il était tout petit. Je l’avais vu grandir, découvrir sa bête et évoluer en ce qui était aujourd’hui un alpha arrogant et puissant. Il ne mesurait pas sa force. En fait, il n’avait aucune idée de ce dont il était capable. Il est vrai qu’il avait un aspect de faiblard, que sa musculature laissait à désirer mais il y avait en lui quelque chose d’indomptable : la fusion parfaite entre l’homme et le rat. J’avais vécu plus de 1 500 ans … Et je n’avais que rarement décelé une telle harmonie chez un garou. Je l’enviais pour ça, moi qui avait été incapable d’exprimer ne serais-ce que le moindre caractère physique d’un rat. J’étais la honte du clan !

« Tu as parfaitement raison, petit. » Soufflai-je. « Tu ne m’as rien pris. La place d’Alpha te revenait de droit. Je ne l’ai jamais eu. J’étais juste sensé l’avoir. »

Ma voix trahissait ma torture. Malgré le temps mes blessures ne guérissaient pas, parce que tout simplement c’était ma fierté qui saignait. C’était ma vie que j’avais perdu en courant après le clan. Il est vrai que j’avais moi-même souhaité être transformé en incube, mais les raisons n’étaient pas aussi superficielles qu’il pensait. Je ne me serais jamais permis une telle bassesse. Si je l’avais fait c’était uniquement pour mieux revenir et me faire accepter. A l’époque, Eugène Forbes premier _ Alpha, me reprochait ma faiblesse. Il ne me considérait même pas comme son fils, pour lui je n’étais qu’un humain sans intérêt.

« Morgan, il y a des choses que tu ne comprends pas. Ces choses je ne peux te les avouer. Tu pourrais être surpris, ou même tenté de rejoindre les démons … Comme je l’ai fait. » Me moquai-je.

Je sursautais à son éclat, me disant vaguement que c'était de moins en moins une bonne idée d'être venu. Quelle folie m'avait encore pris ? Mais il était un peu tard pour faire marche arrière. De toute manière, il y avait peu de chance qu'il me laisse partir comme ça. Pourtant, il n'avait pas bouger. Il avait juste élever la voix. Néanmoins, il était impressionnant. Il l'avait toujours été, à sa manière. J'ignorais tout de ce qu'il s'était passé pour qu'il devienne Incube, et je n'avais pas le droit de le juger pour ça. En fait, je crois que peut importe ce qu'il était, je n'aurais pas le droit de lui en vouloir, puisque cela s'était passé bien avant ma naissance. Néanmoins, je ne supportais pas la trahison. Mon instinct dominateur d'Alpha probablement.

▬ Je n'idéalise personne, je suis bien placé pour connaître leurs faiblesses, sifflais-je, agacé, me connaissait-il donc si mal ? Toi, en revanche, tu attendais beaucoup d'eux, peut-être même beaucoup plus qu'ils ne pouvaient t'offrir ... Ou alors était-ce de toi dont tu attendais tellement de chose que tu n'étais pas à la hauteur de tes propres attentes ... Tu n'as jamais admis avoir des limites ... Même en temps qu'Incube, tu continues à toujours vouloir plus que tu ne peux te donner à toi même ...

C'était affreusement stupide de ma part, mais il fallait bien quelqu'un pour lui dire ces 4 vérités, peu importe ce qu'il s'était passé dans le passé. Cela n'avait plus d'incidence sur le présent. Du moins, ça ne devrait pas en avoir. Ne pouvait-il pas revoir à la baisse ses attentes, trop importante pour lui même ? Ne pouvait-il pas attendre le bon moment, pour chercher à aller plus loin ? Non, il faut toujours qu'il enfonce les portes.

▬ Tu aurais pu l'avoir cette place, si tu t'étais donné la peine de voir plus loin que le bout de ton nez ...

Je ne pouvais pas croire qu'il venait de me sortir une ineptie pareille. Mais enfin, ça ne ressemblait pas au Daemon que j'avais connu, celui là au moins ne se laissait pas marcher sur les pieds comme ça. Quand il voulait quelque chose, il l'avait, peu importait le temps qu'il mettait à l'avoir, il finissait toujours par l'obtenir. Que lui était-il donc arriver pour avoir autant de rancœur en lui, tant de rage et de colère ? Je le sentais tendu à côté de moi, je savais qu'il se retenait, qu'il voulait dire quelque chose, mais qu'il y avait une autre chose pour l'en empêcher. Un relent de culpabilité ? D'humanité ? De volonté de protection ?

▬ Je ne ferais jamais ça. J'ai une famille à laquelle je tiens. Et ils comptent sur moi aussi ... Je déteste avoir à me battre contre toi, mais tu ne me laisse pas vraiment le choix. Et si tu veux me dire quelque chose, grand dieu, fais le, je ne suis pas en cristal, et je suis encore moins un enfant ...

Je rageais de me rendre compte que pour lui, je n'étais qu'un bébé qu'il fallait protéger envers et contre tout. Merde à la fin, je n'étais pas arriver au rang d'Alpha pour ma belle gueule et même si je n'en avais pas l'air, je savais me battre, je savais encaisser les coups, et les rendre au centuple. Je n'étais pas un enfant. Je ne l'étais plus depuis longtemps. Et il était bien placé pour le savoir, il était là, lui aussi, à l'époque.

Mon rire prit des allures d’arrogance … Ce petit était étonnant. Il avait presque su me faire gober ses salades ! Ma langue claqua contre mon palais, signifiant mon irritation. Il parlait de moi, et de ma vie comme s’il était le maitre du monde. Or, nous savions tout les deux que j’étais le seul leader dans cette putain de ville. Je soufflai une énième bouffée de fumée en me levant. Je sentais le regard de Morgan posé sur moi, appréhendait-il une future attaque ? Il avait bien raison ! Je me raclai la gorge en me téléportant sur le rebord du toit.

« Tiens tiens, tu me sembles bien arrogant aujourd’hui. » Ma voix résonnait dans le vide, créant un écho effrayant. Je souris en le fixant du regard. Mes pupilles étaient dilatées et le sang froid affluait jusqu’à mes yeux brouillant ma vision. Je jetai ma cigarette à terre. « Tes raisonnements tiennent la route mais ça ne s’est pas passé comme ça. »

Le clan, le passé … c’étaient des choses que j’avais essayé de dépasser mais qui me retombaient à chaque fois dessus. J’étais devenu incube par vengeance, et je n’avais gardé de mon humanité que le négatif. A présent les seules choses que je pouvais encore nommer étaient ; la tristesse, le rejet et la colère. J’étais sourd à tout le reste. L’amour, la joie et l’amitié étaient des notions qui avaient finit par m’échapper. Je n’espérais pas les retrouver un jour. Soyons réaliste, c’était plus simple de diriger quand on n’avait ni cœur ni foi. Je regardai le jeune rat une seconde fois. Alors pourquoi ressentais-je de la sympathie pour lui ? J’osais espérer que ce n’était que passager. Ou peut-être pas. Etais-ce de l’attirance ? Je m’étais déjà tapé des mecs avant, cela ne différait pas beaucoup des filles d'ailleurs.

« Morgan … » Commençai-je de ma voix mielleuse.

Je n’avais pas essayé une seule fois de pénétrer son esprit. A vrai dire, il était la seule personne avec qui j’essayais de garder un faux semblant de relation saine. Il est vrai que nous nous détestions, que nous étions opposés sur tous les plans … Mais c’était une opposition fair-play. Je me raclai la gorge comme pour me reprendre. Il avait tout à coup l’air en colère. Un rictus serré se traça sur mon visage, accentuant encore plus la couleur vermeil de mes yeux. Je ne devais pas être beau à voire …

« Tu as une famille. Mais la protègeras-tu pour toujours ? Jusqu’où serais-tu capable d’aller ? Me donnerais-tu ta vie pour que je les laisse vivre ? » Lançai-je pince sans aucune émotion. « Nous savons tous les deux que ma cible première reste les rats … Quand j’en aurai fini avec eux, j’arrêterais t’embêter les garous. Pour les jolies filles je promets rien par contre. » Eclatai-je de rire.

Je n’avais pas répondu à ses questions, ni assouvi son désir de comprendre mais je préférais esquiver. Solution de facilité je l’avoue, mais qu’il le veuille ou non, il n’était qu’un gamin à mes yeux. Même épanoui et au zénith de sa force, il demeurait jeune par rapport à moi. Il ne faisait pas le poids face à mes 1 500 ans … C’était comme ça. Je m’élançai dans les airs avant de réapparaitre à quelques centimètres de lui. Il ne devait pas beaucoup apprécier une telle proximité mais je prenais plaisir à l’enrager.

« Tu es sûrement le seul qui en vaille la peine chez ces fouttus garous … » Chuchotai-je. « Si je te le disais … Qu’aurai-je en retour ? »

Une idée traversa tout à coup mon esprit.

« Rejoins-moi ! Je ferais de toi l’Odin de tous les garous. L’alpha de tous les alphas … Le mien y compris. Tu auras une nouvelle famille qui vaille la peine d'être protégée.»

Je retins un frisson d'horreur. Oui, j'avais peur de lui. Quoi de plus normal. Je devais être en tête de sa liste noire des gens à abattre à tout prix. Et pourtant, il ne faisait rien, rien que me parler de choses qu'il estimait incompréhensible pour moi. Me prenait-il pour le dernier des idiots ? Bon, d'accord, je n'étais pas une flèche, encore moins un stratège et j'avais du mal avec les sentiments des autres, autant qu'avec les miens. Mais de là à me prendre pour un imbécile il y avait un pas à ne pas franchir. Voilà comment je passais de la peur à la colère. Etait-ce tout ce que je valais pour lui ? Putain, si j'étais à ce point dans le faux, pourquoi ne me disait-il pas la vérité ? D'accord, je ne pourrais peut-être pas l'aider, voire le sauver ... mais je refusais d'être inutile, et encore plus d'être un fardeau. Je voulais la vérité putain, je voulais savoir pourquoi je devais me battre contre celui que j'avais longtemps considérer comme mon grand frère. J'étais blessé dans mon orgueil de me dire qu'il avait toujours été comme ça, qu'il m'avait trompé depuis le début, qu'il s'était foutu de moi depuis toujours. Et putain ce que cela pouvait faire mal.

▬ Jusqu'au bout s'il le faut ... Si une seule personne doit mourir pour qu'ils vivent, non je n'hésiterais pas ... Mais qu'est-ce qui te fait croire que je te fais assez confiance pour croire aveuglément que tu les laisseras en vie, même après ma mort ? répliquais-je hargneux.

Il m'avait déjà trahi de la pire des façons une fois, et il croyait que j'allais recommencer la même erreur ? Etait-il stupide lui aussi ? Me connaissait-il si mal ? Apparemment oui. Il avait fui encore une fois. N'aurais-je donc jamais les réponses à mes questions ? Etais-je condamné à ne jamais rien savoir de ce qu'il s'est réellement passé pour qu'il en vienne à devenir ... ce qu'il était aujourd'hui ? J'en avais marre d'un coup qu'il joue avec mes nerfs, qu'il se moque de moi, encore et encore, et encore ...

▬ Je suppose que l'éternelle reconnaissance que j'éprouverais à ton égard ne serait qu'une maigre récompense à tes yeux ? ironisais-je.

J'étais en colère et il devait le sentir, mais putain je m'en fichais comme de mon premier boxer. La seule chose que je voyais pour l'instant c'était qu'il ne voulait rien me dire, et que je ne saurais donc rien. J'avais envie de partir me rouler en boule sous ma couette comme un enfant capricieux à qui on a refusé le nouveau jouet qu'il voulait à tout prix. Je me sentais tellement ridicule soudainement. Je me levais, décidé à mettre plus de distance entre son souffle chaud et moi. Je me sentais pas tellement menacé, non c'était autre chose de bien plus dérangeant, et ses yeux rouges n'étaient pas pour me rassurer. Depuis quand n'avait-il couché avec personne ? Depuis combien de temps n'avait-il pas satisfait sexuellement son monstre ? J’eus peur soudain, peur qu'il fasse quelque chose que je pourrais regretter plus tard. Mais il ne me laissa pas le temps de réagir. Et sa proposition me donna envie de vomir.

▬ Régner sur quoi, Daemon ? Un royaume de cadavre ? Tu sais aussi bien que moi que la gloire ou le pouvoir ne m'ont jamais attiré ...

Pourquoi cette stupide proposition ? Que cherchait-il putain ? A m'épargner ? ça ne tenait qu'à lui alors ... Je m'éloignais encore, faisant les cents pas à mon tour, je ne cherchais pas à fuir, je n'en avais plus l'envie. Sa proposition m'avait choqué. Profondément. J'en eux presque envie de pleurer devant le peu de chose que je représentais pour lui.

J’éclatai d’une rire criard en sentant toutes les ondes puissantes qu’il dégageait. Sa peur, sa colère et son indignation passaient à une vitesse vertigineuse sur son visage placide. Pas besoin d’utiliser mes talents de manipulateur où de legillimens afin de lire en lui comme dans un livre ouvert. Morgan était ce genre de personne. Il était bien trop prévisible, en tout cas à mes yeux. Cela allait sûrement causer sa perte, mais j’étais là, assurant ses arrières de gré où de force. J’étais prêt à tout, même à le tuer si cela impliquait de le protéger contre lui-même et contre les mensonges du clan des rongeurs. Il ne devait pas le comprendre, mais j’avais dépassé toutes les limites il y a un bout de temps déjà. Mes yeux s’injectèrent de sang, renfonçant encore plus cette teinte carmine propre aux monstres de mon genre. Je fis un pas en avant, annulant cette distance qu’il s’obstinait à créer entre nous.

Ne t’éloigne pas. Nous sommes trop liés.

Je posai ma main frigorifiée sur sa joue, et saisis son épaule de l’autre afin de parer un mouvement de recul de sa part. Un sourire malsain se traça sur mon visage. Je savais qu’il n’avait plus confiance en moi, après les coups en traitres et les meurtres dont j’étais à l’origine quoi de plus normal, mais je savais aussi qu’il était très facile de regagner le peu d’estime qu’il avait pour moi. Ce rat là n’était pas une mauvaise personne, il était d’ailleurs trop bon pour régner. Je connaissais ses plans et ses rêves de paix. C’était trop cuche pour être réalisable mais au fond de moi , je ne pouvais m’empêcher d’admirer son ambition. Sa façon si spéciale d’être. C’était presque fou, que nous aillons le même sang dans nos veines.

Je ris.

« Tu pourras régner sur un monde que je repeuplerais personnellement pour toi. » Soufflai-je subtilement à son oreille.

Je marquai un silence. Il voulait se sacrifier, c’était tout à son honneur mais … Le perdre serait encore plus pénible encore que de le combattre. J’aimais bien cet enfant. Je l’avais vu grandir, je savais qui il était vraiment. Je soupirai.

« Je n’ai qu’une parole, petit. Si tu me donnes ta vie, j’épargnerai les tiens. »

Je fendis l’air afin de m’éloigner de lui rapidement. Mes yeux encadrèrent son visage. Il voulait savoir mais j’avais du mal à briser ses idéaux. Je crois bien que je le prenais en pitié, et cela n’avait rien à voire avec l’estime que j’avais pour lui. Personne ne méritait de voire toutes les choses futiles auxquelles il croyait tellement se briser comme ça, aussi facilement. C’était trop dur à encaisser. Je l’avais mal encaissé. Je sentis mon âme bouillir de colère.

« Je vais te faire un aveu. Ma vengeance, n’a rien à voire avec toi. Tu es le seul rat qui vivra.»

Je tournai les talons.

« J’avais cru qu’après avoir éliminé Eugène J. Forbes, mon père et ton arrière arrière arrières on en finira jamais arrière grand père, je pourrais oublier toutes les offenses des rats, mais ce n’est pas passé. J’avais tout le temps besoin de plus. J’ai troqué mon âme contre cette puissance dans le seul but de détruire tous les rongeurs ! Ne crois-tu pas que je mérite de gagner ? Ce serait presque un droit légitime pour quelqu’un qui a autant souffert. Crois le où non, j’ai été encore plus humain que vous tous réuni. Je connais la souffrance, le rejet, l’isolation et la torture mieux que vous tous. »

J’éclatai de rire. J’en avais trop dit d’un seul coup. Je réprimai un second élan d’impulsivité en fourrant mes mains dans les poches arrière de mon jean noir. Je clignai des yeux.

« Si tu es assez malin, et je crois que tu es assez malin, tu devrais déduire certains faits pertinents de l’histoire de ton clan chéri. Vos livres d’histoires, vos parchemins, ce n’est que de la merde. Des conneries sur papier bouleté ! »

Je réprimais difficilement un mouvement de recul. Il me faisait peur. Je le savais au fond de moi, mais j'avais encore tellement de mal à admettre qu'il me terrifiait. Il était un membre de ma famille et à ce titre je ne pouvais pas vraiment le haïr, malgré tout ce qu'il pouvait avoir fait.

▬ C'est un monde de cadavre, Daemon, que tu m'offres. Et je n'en veux pas.

Pourquoi étais-je si important à ses yeux ? Pourquoi ferait-il une chose pareille ? Pour moi d'autant plus ? Je devrais m'en sentir flatter, néanmoins, je ne supportais la personne qu'il était. J'y avais tellement cru, qu'il était quelqu'un de bien. Et dire qu'il fut un temps où j'aurais tout fait, absolument tout pour lui ressembler. Et aujourd'hui, maintenant que je sais ce qu'il est vraiment, je ferais tout, absolument tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas finir comme lui. Je refusais d'être comme lui, de devenir cette chose abjecte qu'il était.

Bon sang, mais pourquoi à la fin ? Pourquoi était-il entré dans ma vie, il y a si longtemps ? Pourquoi était-il revenu pour moi ? Pour repartir si peu de temps après ? Pour se montrer finalement au grand jour ainsi ? Pourquoi m'avoir fait miroiter un monde si beau, pour finir par le massacrer lui même ? Il m'avait montré tellement de chose, il m'en avait appris tellement d'autre, et il était devenu tout le contraire de ce qu'il me demandait d'être, de ce qu'il avait fait de moi.

▬ Tu es contradictoire, Daemon. Tu me demandes de te donner ma vie pour 'épargner les miens, mais l'instant d'après tu me dis que je serais le seul qui vivra ...

Je ne comprenais rien à ce qu'il disait. Je savais que les livres d'histoire étaient enjolivés, je n'étais pas naïf au point de ne pas avoir compris ça. Néanmoins, à ce point ? Je ne pouvais pas le croire. Et ces histoires de torture ? Le clan avait toujours eu des problèmes avec sa violence envers ses propres membres, et j'avais bon espoir de changer ça, j'avais même d'ailleurs bien avancé puisque c'était prohibé maintenant. Et c'était ça au fond qui m'énervait le plus. Lui et moi avions le même but, les mêmes rêves, la même utopie en tête. Lui tuait pour l'obtenir, moi je luttais à coup de paroles cyniques bien placées, je faisais bouger les choses. Petit à petit. Mais je ne pouvais pas tout avoir d'un coup, ça aurait été trop beau.

▬ Ce n'est pas en tuant tout le monde que les choses changeront, tu n'obtiendras rien comme ça, bien au contraire ...

Il allait rire, je le savais, je m'y attendais, il s'était toujours moqué de la diplomatie trop lente à réagir de son point de vue, mais tuer renforçait les Anciens dans leur entêtement. Et puis la vengeance comme motif à tous ces innocents morts ? C'était une blague, il ne pouvait être si mauvais, je refusais d'y croire. Pas à ce point. Et moi j'étais là, dans la gueule du loup à deux doigts de me dévorer parce que je ne céderais pas, et il le savait.

▬ Aides moi à changer le monde, façonnons le comme nous l'avons toujours vu, mais ne tue plus. Tu ne fais qu'empirer les choses, ainsi.

C'était stupide, mais je voulais tellement y croire. Jamais il n'accepterait, comme jamais je n'accepterais son deal. Nous parlions chacun de notre côté dans le vide. Dialogue de sourd. Et la ville de cadavre s'étendait à nos pieds. J'eus envie de pleurer soudainement, sur tout ce que nous avions perdu pour une simple et stupide rancune vieille de plusieurs siècles.