Sara & Morgan

Are you still waiting ?

Je m’assis sur le trottoir au bout de l’allée. Il faisait sombre et froid, le moment idéal pour sortir de l’ombre mais ce n’était pas mon genre. Je préférais observer les rats dans toute leur ignominie sans bouger. J’étais dépassée par les événements qui m’entouraient. Vraiment. Je baissai les yeux sur mes mains égratignées … Ma dernière transformation avait vraiment mal tournée ! J’avais des bleus et des mini plaies un peu partout sur les doigts et les avant-bras. Ça faisait un mal de chien, ou devrais-je dire un mal de rat ? !

« Ahhh … » Soupirai-je, les yeux embués de larmes.

Pourquoi les choses avaient si mal tournées pour moi ? Mes souvenirs défilaient sous mes yeux à une vitesse vertigineuse avec pour fond sonore un solo au piano. Je déglutis, tentant tant bien que mal de ravaler mes larmes. Je n’étais pas le genre de fille à fleur de peau. Alors là pas du tout … Je m’en voulais horriblement de craquer aussi souvent d’ailleurs.

Morgan était sorti avec un groupe de jeunes plus tôt dans la soirée. J’épiais les rues sombres du regard … Il pourrait apparaitre à n’importe quel moment. Je fronçai les sourcils ! S’il était encore en retard je jure de lui crever les deux yeux ! Je le détestais vraiment et quand il n’était pas là c’était encore pire. Je me sentais si seule et démuni. Il était la seule raison qui me permettait de me sentir vivante et audacieuse. Certes, je ne faisais que l’insulter et le taper sur le système nerveux mais il devait supporter mes sautes d’humeur pour l’éternité. C’était sa punition !

Je frissonnai. La brise était glaciale, et j’avais eu la magnifique idée de porter ma nouvelle jupe en soie prada. J’entourai mes bras autour de mes petites épaules en soupirant. Des mèches dorées étaient retombées sur mon visage palot. Je fis la moue … J’étais vraiment pas jolie en ce moment ! Mes nuits agitées et mon manque de sommeil commençaient à peser lourd sur la balance, et cet idiot fini qui n’était toujours pas là ! Je ne l’attendais pas pour sa belle gueule … Mais alors là vraiment pas ! J’étais obligée de rentrer en même temps que lui, sinon les autres membres de la société faisaient la gueule en me traitant de tous les noms. C’était mon créateur, je lui devais respect et obéissance. Mon c** ouais ! Je soupirai à en fendre l’âme. Malgré mes deux ans au sein des rats-garous, je ne m’étais vraiment pas intégré. C’était difficile de cohabiter avec ces espèces, ou bien de comprendre leur mode de vie si … Nocturne et sournois. Quelle vie de merde !

« Morgan … Maître … Oh Maître Morgan revenez vite … Votre humble esclave a besoin de se coucher … » Mimai-je avec une fausse expression de concentration, mes mains de part et d’autre de mon front. J’éclatai de rire … je rêve ou venais-je de tenter de communiquer par télépathie ? Pathétique !

J'étais sorti avec les plus jeunes pour les aider dans leur transformation encore très douloureuse, et surtout pour ne pas les laisser seuls, qui sait ce qu'ils seraient capable de faire une fois lâcher en liberté. Et puis je n'avais pas tellement confiance en eux, ils étaient trop jeune, et j'aimerais assez ne pas me récolter une deuxième Sara, une seule était déjà difficile à supporter alors, deux, c'était juste pas possible. J'étais plutôt fier de moi, les nouveaux étaient puissants et apprenaient relativement vite, contrairement à elle, toujours à lutter contre sa transformation, alors que si elle se laissait aller, ça serait tellement plus simple et moins douloureux. M'enfin, elle faisait ce qu'elle voulait. Si elle aimait la souffrance, ça ne tenait qu'à elle. Même si ça me faisait mal au coeur.

▬ Mais merdeuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh ... qu'elle me sorte de la tête, cette garce, j'en peux plus ...

Ne pouvais-je donc pas m'arrêter de penser à elle tout le temps ? Elle ne m'apportait que des ennuis, je ne compte plus le nombre de fois où j'ai voulu lui en coller une jusqu'à ce qu'elle cède devant moi, jusqu'à sa soumission totale et incommensurable. Cependant, son regard empli de défi m'en empêchait. Elle n'attendait que ça, et je n'allais pas lui faire ce plaisir. Certainement pas non. Même si des fois, ça me ferait plaisir à moi aussi. Bizarrement je m'accrochais à elle, et c'était la seule à qui je passais les déboires. ça provoquait des jalousie, évidemment. Les plus jeunes ne comprenaient pas pourquoi, elle, elle pouvait me parler si mal, alors qu'eux devaient plier. Certains même se soulevaient, ça ne durait pas bien longtemps et c'était vite étouffé, mais quand même, cela m'inquiétait. Ils étaient toujours plus nombreux à chaque fois. Mais bon, pour l'instant ça allait, et les plus vieux les rabrouaient vite fait.

Je décidais de rentrer, à la fin de la transformation. Je savais qu'elle m'attendait avant de rentré, elle ne supportait plus les regards des autres, et elle ne parlait qu'à moi. J'ai toujours pensé son comportement gamin et puérile, depuis deux ans qu'elle était là, elle pouvait faire un effort, ce n'était plus des inconnus maintenant. Peut-être n'approuvaient-ils pas son comportement envers moi ? Mais j'étais sur que si elle le voulait, elle pouvait bien les rallier à sa cause et les soulever contre moi. Non, là je virais paranoïaque, faut pas pousser non plus. Je pensais surtout que c'était pas peur, elle s'accrochait à moi et ne laissait personne l'approcher sans mordre. J'étais devenu sa seule constante, son seul moyen de rester les pieds sur terre, et elle avait peur des autres, de finir comme eux.

Je soupirais en voyant que j'avais raison, elle m'attendait en ruminant ses sombres pensées. Du moins, c'est ce que je pouvais voir de là où j'étais, elle s'agitait en grands gestes agacés et les autres la regardaient comme si c'était une folle. Je soupirais à nouveau, alors que les jeunes commençaient à se disperser. Je m'approchais silencieusement d'elle et sursautais en l'entendant si ironique. Je décidais de jouer avec elle. Charmeur je susurrais à son oreille en passant mes bras autour de ses frêles épaules tremblotantes de colère et peut-être aussi un peu de froid :

▬ Méfies toi, je pourrais prendre goût à cette si belle façon de m'appeler ...

Je frissonnai en sentant son parfum derrière moi … Je le reconnaissais parmi milles ! Normal, il arrivait à me filer la nausée encore plus que l’odeur du sang coagulé. J’haussai un sourcil lorsqu’il posa ses bras sur moi. C’était une sensation bizarre … Je sentis mon cœur battre au fond de ma gorge et faire vibrer mes muscles. Pouvait-il seulement voire à quel point il me perturbait ? Que j’étais torturée à chaque fois qu’il était près de moi ? Je le repoussai violemment.

« Eh bien maître Morgan devra aller se faire fouttre ! » Sifflai-je de mon air le plus mesquin. C’était comme ça, c’était plus fort que moi. Je crois que je le fuyais … Je fuyais quelque chose de plus grand et de plus effrayant que mes pires cauchemars. Cette chose qui me dépassait complètement : La bête. Je n’en parlais presque jamais, même pas avec lui mais je suppose qu’il savait à quel point j’étais nulle en rat-garou. Mes plaies et mes écorchures se mirent soudain à me titiller. Je me mordis la lèvre inférieure d’un air suffisant, masquant mes faiblesses. Le temps que j’avais passé ici ne m’avait pas rendu plus forte. J’étais moins apte à supporter la douleur mais j’essayai tout de même de l’accepter. Enfin, je crois. Je me retournai et posai mes yeux sur le visage de Morgan. Il était différent des autres, pas d’une façon positive mais il sortait du lot. Je me demandais parfois pourquoi il me supportait ? Pourquoi avais-je droit à un traitement de faveur ? Il était plutôt du genre à empaler une petite garce prétentieuse et grincheuse de mon genre … Alors pourquoi n’avait-il jamais essayé de me soumettre ? C’était une couille molle sûrement. Je souris en coin d’un air septique.

« La prochaine fois que je te manque, serre ton oreiller … ça t’éviteras de te prendre un râteau … Maître tout puissant ! » Me moquai-je.

J’attendais toute réaction de sa part. Au fond de moi j’espérais qu’il me fasse taire, ou qu’il m’emprisonne quelque part dans un trou sombre et sans fond où je pourrais finalement disparaitre. Il n’en faisait rien malgré mes efforts d’autodestruction. Quel incapable ! Peut-être que je voulais le provoquer jusqu’à ce qu’il ne puisse plus me tolérer où pardonner mes pêchers … Je voulais qu’il me confronte à la réalité parce que je n’y arrivais pas toute seule. Je ne pouvais pas laisser mon humanité où la fille pleine d’espoir que j’étais me filer entre les doigts. Et si je n’étais plus moi ? Et si je devenais quelqu’un d’autre ? L’inconnu, encore plus que le pouvoir et la puissance, me rendait fébrile. Je me surpris à grincer des dents. Je soupirai en tentant une approche.

« Donne moi ta veste, j’ai froid ! »

J’étais si vulgaire et impolie. C’était horrible ! Je tentai un sourire mais la seule chose dont j’étais capable c’était ma tête d’enterrement. Mon père avait l’habitude de dire que je devais être heureuse, et garder mon expression de déprimée pour quand il serait mort. Mais là, c’était moi qui avait quitté le monde. Je clignai des yeux en me collant au torse ferme du jeune homme. Je ne l’aimais pas , mais il pouvait au moins me réchauffer. Mon cœur se serra. Il était resté silencieux ... Je déglutis.

Cuz silence only brings me doubts ...

« Tu as été ‘ sauver ‘ des vies encore ? » M’enquis-je sans l’air d’y toucher.

Je soupirais. Quelque chose n'allait pas ce soir. Elle semblait ... différente ... Quelque chose n'allait pas, et les autres nous regardaient. Ils s'étaient rassemblés autour de nous, à l'affut du moindre échange, de la moindre rébellion. Attention morbide. Ils attendaient de moi que je punisse enfin Sara pour tous les affronts qu'elle m'avait fait. Ils attendaient de moi que je répare l'affront dans le sang. Pauvres idiots.

▬ Désolée, Beauty, mais je ne suis pas de ce bord là, et quand bien même, c'est moi qui domine ...

Elle avait fait tellement mieux, j'étais un peu déçu. Mais bon, elle devait avoir quelque chose ce soir. Ses règles ? Non, je le sentirais. Alors, quoi bon sang ? Qu'est-ce qui se passait ? Et oui, bien sur que je m'inquiétais. Autant pour elle que pour les autres. Bon, d'accord, peut-être plus pour elle que pour les autres. D'accord, elle m'obsédait tout le temps, je ne pouvais pensé qu'à elle. Mais je ne voulais pas prendre la peine d'analyser ce que je ressentais pour elle. J'avais trop peur de ce que je pourrais trouver. Quelque part ça voulait dire que je savais ce que je ressentais pour elle, mais que je ne voulais pas l'admettre ? Oui, ça devait être ça.

▬ Tu es tellement plus confortable que mon oreiller, sifflais-je, près de son oreille.

Je m'étais penché un peu en avant, restant à ma place, en fait, juste ma tête s'était rapprochée d'elle. Je lui souris, je savais que c'était ma chance. J'en oubliais les autres autour de nous et lui donnais simplement ma veste, j'avais presque chaud avec elle de toute manière. Je sursautais en la sentant se blottir contre moi. Mais qu'est-ce qui lui prenait ? Elle n'avait jamais agi comme ça, je trouvais ça un peu bizarre, mais j'étais bien décidé à en profiter un maximum. Je déchantais bien vite en entendant sa question. << Sauver des vies >> hein ? J'avais sauvé la sienne, qui sait ce qui lui serait arrivé si je l'avais laissé seule dans cette rue mal famée ? Je n'aurais pas supporter de voir le sang coulé encore une fois. Pas ce soir là en tout cas. Je resserrais mon étreinte autour de son corps trop fin et nichais sa tête dans mon cou.

▬ Tu m'as vu sortir avec les jeunes, j'ai pas eu le temps d'enfiler ma tenue de héros ... murmurais-je.

Je lançais un regard noir alentour, dispersant la foule d'un ordre silencieux.

▬ Sara, qu'est-ce qui se passe ? Tu sais que tu peux m'en parler ? On peut aller ailleurs, si tu veux ...

Je frottais son dos de mes mains, tentant de la réchauffer et de la rassurer, je ne savais pas ce qu'elle avait, je ne savais pas si elle allait m'envoyer bouler, ou si elle allait me répondre, mais j'étais assez mal à l'aise avec les derniers regards des autres autour de nous.

Sa voix n’était pas spécialement attirante mais je m’étais habituée à son timbre particulier, et à sa façon très « Wererat » de siffler les s. Je fermai les yeux durant un court laps de temps. Le vent froid et grincheux semblait s’être incliné face au rat dominant. Je sentais sa force de caractère et ses ondes sournoises flotter tout autour de nous. Morgan était semblable aux molécules d’eau qui s’évaporaient dans l’air : si irritantes lorsqu’elles perlaient au dessus de ma peau mais si rafraichissantes à la longue.

▬ Tu m'as vu sortir avec les jeunes, j'ai pas eu le temps d'enfiler ma tenue de héros ... Murmura-t-il à mon oreille. Je sursautai légèrement mais me reprit rapidement. Je baissai les yeux aussi, tentant de masquer mon sourire amusé. Il ne manquerait plus qu’il croit que je sympathisais avec lui. J’avais un moment d’égarement, ou de faiblesse. Oui de faiblesse, on pouvait appeler ça comme ça. En fait j’étais fatiguée de me battre constamment contre moi-même puis contre lui. C’était si pénible et épuisant par moment, surtout qu’il ne pliait pas. Il ne sortait jamais de ses gonds où pas assez longtemps pour satisfaire mon désir de l’emmerder.

Il lança un regard froid aux autres rats qui nous fixaient non sans discrétion. Les connards ! Ils devaient sûrement attendre le moment fatidique où ma petite tête d’emmerdeuse allait heurter le sol givré. Bande de trou du’c ! Je soupirai mon mécontentement.

« Pousse -toi ! » Tonnai-je en repoussant violemment Morgan. J’avais faillit en perdre l’équilibre ! Non mais qu’est – ce qui lui prenais de frotter mon dos où d’essayer de me réconforter ? Nous n’étions pas amis ! PAS DU TOUT !

« Tu crois que je suis comme l’une de ces petites bestioles poilues qu’il te suffit de cajoler pour qu’elles s’inclinent face à ta grandeur d’âme ? Tu t’intéresse à mes histoires ? Tu t’inquiètes peut-être ? » Riais-je d’un air macabre. « Tout ce que tu fais en me traitant aussi bizarrement c’est de m’attirer les foudres de tes rongeurs si dévoués ! Si tu veux tellement m’aider où me rendre service : Arrête de jouer le sauveur ! Ne soit pas comme ça avec moi ! »

Je tournai les talons.Un éclair de colère scintilla dans mes yeux ambre. Je sentais l’indignation gronder en moi. Mon impulsivité prenait le dessus sur ma raison. Je me retournai vers lui et le pointai du doigt.

« Tu sais je ne parle pas aux autres mais je les entend radoter dans les dortoirs … Tu sais pourquoi les anciens ne te prennent pas au sérieux ? Où pourquoi Daemon t’a laissé tombé ? C’est parce que tu es assez con pour protéger les mauvaises personnes ! »

Je marquai un silence.

« Je suis une mauvaise personne à protéger, Morgan. »

A peine ma phrase terminée que mes entrailles se mirent à se contracter rapidement. Mon péristaltisme intestinal partait en vrille là. La tête me tournait, mais le pire c’était ces grincements de dents qui bourdonnaient dans mes oreilles. Je fusillai l’alpha du regard. Etait-ce l’une de ses combines pour me punir ? Hallelujah ! Il avait enfin retrouvé ses c******. Ma vision se brouilla tout à coup voilée par un rideau noir. C’était une transformation ? Ma bête chuchotait des injures que j’avais du mal à comprendre. Elle était en colère après moi. Avais-je trop offensé son créateur ? Je m’accroupi en sentant mes os craquer les uns après les autres. Mes bras et mes jambes se désarticulèrent et je devins ce que je redoutais le plus au monde : Un monstre !

Je fis quelques pas à reculent en regardant Morgan.

« Pourquoi te fatigues-tu à faire des efforts pour moi ? Regarde-moi … Je suis une cause perdue» Ma voix étrangement rauque me donnaient l’impression de parler dans un énorme carton. « Comment peux-tu tolérer une fille aussi hideuse ? »

Jouer les sauveurs ? Moi ? Avec elle ? Non, c'était beaucoup plus compliqué que ça. C'était même très simple en fait. Je ne savais pas sur quel pied danser avec elle. Un coup je suis gentille comme tout, je me montre vulnérable, un coup je te repousse tu me soule, va jouer ailleurs. Et moi, au milieu de tout ça je fais quoi ?

▬ Très bien alors, je ne serais plus comme ça, sifflais-je méchamment.

J'attrapais une mèche de ses cheveux et la tirait vers l'arrière alors que je faisais un pas vers elle et que j'enroulais un bras autour de sa taille, l'empêchant définitivement de fuir. Elle était bloquée entre mes bras et mon Rat hurlait de joie face à cette démonstration de pouvoir et la soumission dont elle était obligée de faire preuve, j'avais sa jugulaire juste sous les lèvres et je rêvais d'y planter à nouveau mes crocs.

▬ C'est ça que tu veux peut-être ? Pour moi, tu n'es pas n'importe qui, et c'est pour ça que je ne réagis pas face à tes provocations aussi stupides qu'inutiles. Mais très bien, tu n'auras plus ce statut, tu devras te débrouiller seule dorénavant. Et que vas-tu faire ? Tu sais aussi bien que moi que les autres ne t'approcheront pas, encore moins que maintenant, tu vas finir par te retrouver toute seule, comme toujours, sauf que cette fois je serais pas là pour te botter les fesses et te remettre d'aplomb ...

Parler de Daemon ou des Anciens n'étaient pas à faire. Dans l'état ou j'étais, c'était l'étincelle qui allait mettre le feu au poudre. Je resserrais un peu plus mes doigts dans ses cheveux et sa nuque prit un angle fort peu confortable pour elle, mais je ne pouvais plus m'arrêter, elle m'avait mis hors de moi cette fois. C'était aller trop loin. Les Anciens passe encore, nous n'avions jamais été d'accord. Je ne supportais pas leur folie meurtrière et leur goût pour le sang. Pour eux, j'étais trop jeune, trop inexpérimenté, trop impulsif, trop protecteur, je ne savais rien de la vie comparé à eux. Mais je les emmerdais, je n'étais arrivé à cette place par hasard. Quand à Daemon, moins j'en parlais mieux je me portais. Et elle le savait.

Sa transformation me prit par surprise. Elle n'aurais pas dû normalement. La nuit touchait à sa fin, aucun de nous ne se transformait plus à cette heure ci. Alors pourquoi ? Comment ? Ma colère aurait-elle réveillé mon Rat qui aurait pris le dessus et aurait commandé sa transformation pour la soumettre ? Peut-être bien. C'était même très probable vu qu'il me poussait à me transformer moi aussi. Mais il en était hors de question. Ce problème était humain, il ne concernait pas le Rat. Ou peu. C'était à l'humain qu'elle s'en prenait, et c'était à lui de gérer cette crise. Son discours me surpris d'autant plus que je n'attendais pas aux sanglots dans sa voix. Qu'est-ce qu'elle me racontait là ? D'où elle avait vu jouer ça elle ? C'était du n'importe quoi. Je devais la détromper. M'approchant prudemment d'elle, je posais une main sur son museau, le caressant tendrement, je savais qu'elle ne pouvait pas reculer, son Rat l'en empêcherait. Il avait besoin de ce contact entre nous pour apaiser l'affront que l'humaine venait de faire à son Alpha.

▬ Tu n'es pas hideuse, Sara, tu es même la créature la plus magnifique j'ai jamais rencontré ...

Bon dieu que ce discours était niais et stupide et ... nul ... Mais je ne pouvais pas m'en empêcher. Je m’agenouillais devant elle et son rat suivi le mouvement. Je le forçais doucement à poser sa tête sur mes cuisses et la caressais avec douceur.

▬ Ne t'avise pas de bouger, grondais-je alors que je la sentais s'agiter sous mes doigts. Contente toi de regarder.

Les autres s'étaient légèrement rapprocher et regardaient avec fascination la scène. On pouvait lire de l'admiration dans leurs yeux. Pourquoi ? Je me refusais à le savoir, même si je savais au fond de moi le pourquoi du comment de ce regard, je ne voulais pas l'admettre, pas maintenant.

Les choses se passaient vite, un peu trop vite pour que je puisse pleinement réaliser dans quoi j’étais embarquée. J’étais transformée, ça c’était sûr ! Mais j’étais parfaitement maîtresse de mes actes, chose qui était surprenante pour une personne aussi mal lunée et incapable de supporter sa bête. Je soupirai en me sentant tomber au sol. Mes actes étaient dictés par une force invisible, plus forte et plus convaincante que ma propre volonté. Je suppose que c’était le pouvoir de l’Alpha, c’est ce qui lui permettait de garder l’équilibre et de dominer ses subordonnés. Et j’en étais un. Complètement. Je n’étais qu’une infime particule, un rat de plus où de moins. Je ne le réalisais que maintenant. J’avais beau lutter, ou me tortiller j’étais soumise à la grandeur de son rat. A mes yeux, il était magnifique. Il était loin d’être aussi hideux, où répugnant que nous autres. Je clignai des yeux, chassant ces pensées de ma tête. Non mais qu’est-ce qui me prenait ? Morgan est un con. Un idiot fini ! Je déglutis en me laissant submerger par sa tendresse.

Il avait promis de ne plus me protéger, de me laisser me débrouiller seule et il y avait fort à parier que je me retrouverais comme une conne à broyer du noir dans mon coin. Il se détachait si facilement de moi, et ça me brisait le cœur. Pourquoi ? Comment ? Je n’en avais pas la moindre idée, mais je supportais mal qu’il me rejette même sous le coup de la colère, et même si je le cherchais. Il était sensé resté avec moi coute que coute bordel ! Même si je criais, que je crisais, que j’étais désagréable et blessante. Bon Dieu … Mais que se passait-il dans ma petit tête de conne ? Je retombais en enfance là où quoi ? Un vague de froid engloutit mon corps frêle … Et si Morgan m’abandonnait vraiment ? Je n’avais jamais envisagé la chose, pas d’une façon réelle en tout cas. Je croyais dur comme fer qu’il ne broncherait jamais malgré mes insultes et mes provocations. Je suppose que j’avais touché un point sensible … Daemon était un sujet tabou et je le savais.

Ses doigts caressaient doucement mon pelage clair. Ses mots n’étaient que des chuchotements et je me découvris à fermer les yeux. Je me sentais bien quand il faisait ça : s’occuper de moi. Le souffle me manquait mais je ne savais plus lui résister. J’étais dépassé par le bien être qu’il me procurait. Mes muscles se déliait tous seuls et ma bête ronronnait de plaisir. J’étais finalement une de ces bestioles qu’il cajolait pour qu’elles se prosternent à ses pieds. Merda ! Je me sentais défaillir. Une lueur blanche scintilla devant moi et je me sentis redevenir moi ; c'est-à-dire l’humaine à l’enveloppe corporelle chétif, et au regard dédaigneux, mais cette fois-ci il y avait quelque chose de différent. Mon cœur battait un peu trop fort, et ça me faisait peur. Je me recroquevillais sur moi-même en sentant ma robe tomber en lambeaux. Je n’étais pas complètement nue mais mes ouvertures avaient toutes craquées. Je serrais ma prise sur ma poitrine puis je me relevai doucement, les yeux rivés sur le torse de Morgan. Je n’osais pas croiser son regard, pourtant il m’avait déjà vu après une transformation plus d’une fois. Mon corps se lova contre le sien sans que j’y puisse grand-chose. Je ne jouais pas pour une fois. J’en avais assez de me coller à lui pour le repousser une minute après ; vraiment.

« Je ne suis pas hideuse ? » Balbutiai-je avec beaucoup de mal. « En tout cas je suis presque à poil … » Soufflai-je en sentant la chaleur de son corps.

Je levai doucement mes yeux vers lui. Je sentais les autres se rapprocher et cela me gênait beaucoup. Morgan exerçait un tel pouvoir sur eux. Il leur inspirait fascination et émerveillement. Comment se fait-il qu’il y avait tellement de choses que je ne savais pas à son sujet ? J’étais une ignorante. C’était le leader, le rat suprême, et pour une fois je craignais sa position.

« Je ne te connais pas… » Avouai-je à mie voix.

Je ne savais rien de lui. En fait, je n’avais jamais essayé de m’intéresser à l’homme qui avait sauvé ma vie. J’étais trop occupée à haïr le rat qui m’avait transformé. Ma vie défilait sous mes yeux, et le visage de Morgan maculé de mon propre sang réapparu devant mes yeux. Il me tenait fermement, comme à cet instant précis. Ses dents anormalement saillantes étaient effrayantes et ses yeux noirs menaçaient de m’ôter la vie mais il ne l’avait jamais fait. A la place il m’avait offert une deuxième chance. Chose, qu’il devait forcément regretter.

« Je suppose que tu n’es pas quelqu’un de mauvais … » Pensai-je un peu trop fort avant de rougir.

Je venais de complimenter mon pire ennemi ?

Je secouai négativement la tête avant de tenter un mouvement brusque.

Il ne pouvait pas avoir entendu ! Il ne pouvait pas !

Je me tortillai rapidement mais il avait du muscle mine de rien. Salop !

« Lâche-moi ! » Scandai-je, troublée. « Lâche- moi ! »

Stop. Nous étions un peu trop proches à mon gout là, j'en perdais mes moyens même ! Je ne pouvais m'empêcher de penser que nos visages étaient à quelques centimètres l'un de l'autre. Je déglutis, le souffle court. J'avais trop peur de ce qui pourrait se passer, trop peur de tomber assez bas pour … Non ! Je ne pouvais pas. C’était impossible ! Nous nous détestions !

Bien sur que non, elle n'était pas hideuse, bien au contraire. C'était la plus belle des rates de la meute. Pour moi en tout cas. Je savais qu'elle ne faisait pas l'unanimité, mais pour moi, elle était une petite merveille. Ma petite merveille. God, je vire niais. Il fallait que je m'éloigne d'elle avant de complètement pété un câble.

▬ Moi non plus, Sarah, je ne te connais pas ... et ce n'est pas faute de ne pas avoir essayer ...

Il n'y avait aucun reproche dans mes paroles, une simple constatation mélangée à un peu d'ironie sur fond de plaisanterie. Je voulais profiter au maximum de ce moment où elle ne fuyait pas mes bras. Pour une fois. Mon coeur avait fait un bond dans ma poitrine comme s'il cherchait à sortir. Qui était-elle bon sang pour me faire ressentir des chose comme ça ... je m'étais toujours moqué des gens qui disaient que leur coeur leur faisait mal quand ils aimaient quelqu'un. Je crois que je viens de comprendre. Mon coeur me serrait. C'était donc ça, cette sensation d'étouffer, de nausée qui vous prenait quand ça ne marchait pas comme vous le vouliez ? Je me sentais bizarre, à la fois euphorique et tellement faible. J'avais l'impression de pouvoir déplacer des montagnes pour elle, et en même temps, je ne me sentais pas assez fort pour la protéger, ce qui en soit était débile étant donné que j'étais le plus fort des miens.

Je me giflais mentalement, ce n'était pas le moment de tourner mièvre, j'avais d'autre chose à penser, comme le fait qu'elle soit enfin dans mes bras, le tout de son plein gré, je savais que ça n'allait pas durer, et j'avais envie de profiter au maximum de ce temps qui m'était imparti. J'éclatais de rire à sa phrase. Croyait-elle que je ne l'avais pas entendu ? Et bien il était trop tard pour feindre ce mensonge, elle m'avait entendu et surtout sentit rire.

▬ Crois-tu vraiment que je serais Alpha si j'étais quelqu'un de fondamentalement mauvais ?

C'était ridicule, et je riais, comme rarement je riais. Je me laissait aller avec elle. Et j'aimais cette sensation d'abandon et de confiance. Néanmoins, mon rire s'étrangla dans ma gorge quand elle se débattit pour se libérer, en ayant l'effet exactement inverse, puisqu'elle s'était dangereusement rapprocher de moi. Je n'avais qu'à pencher la tête vers elle de quelques médiocres petits centimètres tout à fait ridicule, et mes lèvres seraient scellées aux siennes dans un tendre baiser. Bon, ok, tendre, je ne pense pas mais bon ... Je me figeais, lui laissant le choix de comblé cet espace et d'être enfin honnête avec elle même, et avec moi. Dans le cas contraire, le jeu recommençait, et je n'étais pas sur d'avoir une autre occasion comme celle là. Cependant, et j'étais trop gentil de penser ainsi, par respect pour elle, et pour qu'elle ne me sorte pas que je l'avais forcé, je lui laissais l'initiative d'aller plus loin. Ou pas.

La peine et pas l’amour.

Peine.

Voilà ce que je ressentais quand mes yeux croisaient ceux de Morgan. J’étais blessée, et il était le seul à blâmer. L’enfer que j’endurais tous les jours me paraissait plus supportable grâce à la présence reposante d’Aiden, mais cela ne changeait en rien ma douleur. Je déglutis en sentant mon souffle se perdre sur sa bouche et son menton. Je ne savais pas à quoi il jouait mais il attendait quelque chose de moi. ET il n’était pas le seul. Ma bête était tenue en haleine, attendant le moment de se sceller à son créateur. Je la détestais de nourrir de telles pensées, et surtout de les greffer dans mon esprit si confus. Je sentais mon cœur s’affoler dans ses battements. Ils étaient tantôt saccadés, tantôt douloureux. Je levais mes mains tremblantes afin de les poser sur ses épaules fermes. Ma bouche frôla sa joue avant de chuchoter dans son oreille.

« Un Alpha est sans pitié. Il n’est pas fondamentalement bon quand il dirige des monstres. »

Je déglutis une seconde fois en sentant la pression de son corps contre le mien. Je me raidis plus par habitude que par envie. Je me sentais immanquablement attirée par sa puissance, et son pouvoir. Avait-il des pouvoirs de manipulation lui aussi ? Ma tête était en ébullition, peut-être mon cerveau allait-il finir par fondre. Ça ne serait pas une grande perte, tiens. Je ne l’utilisais que très rarement de toute façon.

« Qu’est-ce que tu cherches au juste ? Je pourrais t’embrasser si tu continue. »

J’étais moqueuse même si au fond de moi j’avais envie de l’approcher encore plus. Une part de moi voulait combler cette distance, et pactiser avec le créateur. Je ne voulais plus me battre contre l’impossible toute ma vie. Je ne pouvais pas fuir cet enfer malgré tous mes efforts. C’était un cauchemar. Mon âme était prisonnière de mon propre corps et elle me quémandait sans cesse de faire des choses que ma conscience refusait.

Ce n’était pas réel Sara. Calme-toi !

Morgan Forbes, qui es-tu vraiment pour moi ? Je l’ignorais.

Je le repoussai délicatement en me relevant. Le tissu émeraude de ma robe était troué par endroits dévoilant quelques bouts de ma peau translucide. Je frissonnai de froid en le regardant. Où était-ce l’effet qu’il avait sur moi ? Sûrement, puisqu’il avait le don d’hérisser tous les poils de corps. Bouh …

« Tu es la source de mon rat. Le créateur, qui dans un élan de je ne sais quoi a façonné une nouvelle vie pour moi. Elle me déplait mais je concède que tu es le maître. Morgan, je ne céderais pas à moins d’y être forcée. » Avouai-je sobrement.

Je lutterais.

Je lutterais jusqu’à en perdre le souffle.

Et quand je ne pourrais plus lutter … A ce moment là, j’aviserais. Ou je ... Céderais.

Je m'étais juré de ne jamais me servir de mes pouvoirs sur elle. Et aujourd'hui, ce soir, j'avais énormément de mal à lutter contre l'envie de briser cette promesse. Elle était si proche, et en même temps, si inaccessible. Elle était un peu comme de la fumé, au moment où je pensais enfin l'avoir attraper, elle se dérobe à moi, une fois encore. Je cru devenir fou quand son souffle caressa chaudement mon oreille. A quoi jouait-elle bon sang ? Ne pouvait-elle pas être claire pour une fois ? Etait-ce trop lui demander de ne plus me faire attendre ? Espérer pour rien ? Je me crispais à ses mots. Etait-ce vraiment ce qu'elle pensait ? Elle avait fondamentalement raison, cependant, sur un point je n'étais pas d'accord, et le lui faisait savoir.

▬ Je ne dirige pas des monstres, cinglais-je de la voix la plus froide que je pouvais avoir quand son corps était presque emboité au mien.

Je resserrais mes bras autour d'elle, essayant de faire entrer cette phrase au bourrin dans sa petite tête de linotte qui n'écoutais rien quand on lui parlait. Avait-elle donc si peu d'estime pour ce qu'elle était ? N'était-elle donc pas fière d'être en vie, certes maudite, mais en vie, et plus forte, moins vulnérable. Visiblement cela ne la satisfaisait pas entièrement, voire même pas du tout en fait.

▬ Pourquoi ne le fais-tu pas alors ? Qu'est-ce qui t'en empêche ?

J'étais incrédule. Pourquoi ? Pourquoi ne le faisait-elle pas alors qu'elle en mourrait littéralement d'envie, cela suintait par tous les pores de sa peau. Moi aussi j'étais fatigué, las d'avoir à me battre contre elle, pour elle. Je voulais un juste retour des choses, et je la voulais rapidement.

▬ Je ne te forcerais à rien, Sara, je ne suis pas comme ça et tu le sais. Néanmoins, tu finiras par céder, je t'en fais la promesse, tu cèderas face à moi et de ton plein gré avec ça. Un jour, tu le demanderas même. Parce que je vais te faire la cours, et tu m'appartiendras comme tu m'as toujours appartenu, mais cette fois, ce sera aux yeux de tous, et surtout aux tiens que ce sera vrai.

Il fallait que je m'éloigne, sinon j'allais la faire mienne toute suite. Là devant tout le monde. Personne n'avait entendu ce que je lui avais savamment murmuré au creux de l'oreille avant qu'elle ne s'éloigne, mais tous avait compris la porté de ces mots que je lui avait susurré, tous sentait que quelque chose, quoique ce soit, venait de se passer et que cela changerais dorénavant beaucoup de chose. Je savais qu'elle allait s'enfuir, mais au moins les choses seraient claires, elle ne pourra plus en douter, elle m'appartiendras. Peu importe le temps que ça prendra, peu importe les moyens que j'utiliserais, peu importe ses suppliques ou ses rejets, je serais toujours, toujours là pour elle. Elle ne m'échappera pas longtemps, je m'en fais la promesse.

Ces révélations étaient trop intenses pour que je puisse pleinement les comprendre. Il y avait dans sa voix autant de conviction que de force. Je palpais à nouveau l’aura de l’alpha, le regard médusé. Je n’aurais jamais cru Morgan capable d’autant de charisme. Je le voyais différemment. Mon cœur s’affolait et je savais que ma bête était entrain de jubiler. Elle me sommait de m’incliner face à la grandeur du roi mais je le refusais. Je contenais ma colère en serrant les poings. Je le poussais légèrement, augmentant la distance qui nous séparait. Ma tête tournoyait, assaillit par des flots de pensées bizarres. Je déglutis.

« Je serais toi, je ne serais pas aussi sûr Maître. » Lançai-je le regard mauvais.

Ce mot dernier mot s’était échappé d’entre mes lèvres tel un souffle tranchant. Morgan me prenait de haut à nouveau. Son arrogance, sa suffisance et ses yeux bridés injectés de sincérité … Je détestais toutes ces choses. Je détaillai son visage en grimaçant. Comment une telle personne pouvait-elle exister ? Pire encore, comment pouvais-je être attiré par lui ? Mes jambes flageolantes firent un pas à reculent à nouveau. Je le fuyais comme la peste même si je savais que c’était sans issue. Qu’un jour je me réveillerais dans son lit, et que je resterais pendu à ses bras à tout jamais. C’était le destin de mon rat.

« Ce n’est pas vrai. »

Sa promesse. Je brûlais sous le contact de ses mots, c’était une sensation que je ne pouvais m’empêcher de ressentir. Mes yeux se voilèrent de noir. Au fond de moi, je savais qu’il avait raison. Je lui appartenais déjà, et ce n’était qu’une question de temps avant que cette infime étincelle d’humanité qui subsistait encore en moi et qui le bloquait tellement ne disparaisse à tout jamais.

Je souris.

« Même si je le voulais, je ne te demanderais jamais rien. Je ne suis pas comme ça, et tu ne le sais même pas. Tu ne me connais pas. Tu n’as jamais pris le temps de le faire, comment peux-tu nourrir de telles choses à mon égard ? C’est ton rat qui fait une fixette. Tu devrais être assez puissant pour l’arrêter. Fais-le ! »

Je n’étais qu’une fixette. Je déglutis. Cette affirmation m’avait tout à coup paru cruelle. Etais-je blessée par mes propres paroles ? Ma pauvre Sara, il t’en faut si peu ! Je baissais les yeux, refusant de voire la vérité en face. Je ne voulais pas y croire une seule seconde. Il n’y avait pas de rupture possible entre Morgan et moi. Nous étions immanquablement liés, et j’avais beau me débattre dans tous les sens, il restait le créateur de ma nouvelle vie. Il était mon créateur.

Still waiting …

Il m’attendrait pour toujours, comme moi je l’attendais chaque soir au fond de cette ruelle sombre et glaciale. Nous étions ainsi faits. Je me mordis la lèvre inférieure en serrant les jambes. La tête me tournait, et je me demandais sincèrement si mes sentiments envers lui n’étaient pas entrain de changer. Nous étions ennemies mais voilà que sa proximité devenait rassurante. J’avais soudainement peur de virer de bord.

« Tu sais, je fais souvent le même cauchemar … » Commençai-je d’une voix fluette. « Il y a toi et moi. »

Un éclat de rire enfantin m’échappa.

« Je ne veux pas régner à tes côtés. Je n’ai pas l’étoffe, ni l’énergie. A mes yeux, et aux yeux des autres en tout cas. Il semblerait que tu sois vraiment le seul à voire quelque chose de spécial en moi. Tu dois être stupide. »

Je plantai mes yeux dans les siens sans ciller.

« Tu vois le bien partout, Morgan. Même en Daemon. »

Je tiquais sur mon qualificatif. Je n'aurais jamais du lui dire que j'allais m'y faire. Je ne le pourrais jamais, d'autant plus si elle gardait cette voix pour moi. Je ne pourrait pas supporter ça longtemps. Mais je croyais en ce que je venais de lui dire. Pour moi c'était un fait avérer, ce ne serait qu'une question de temps avant qu'elle ne m'appartienne pour de bon. Tout le clan le savait. Et c'était pour ça qu'elle était encore en vie, parce qu'ils savaient que s'ils s'en prenait à elle, ma colère serait terrible. Je ne répondrais plus de rien. Et cela m'effrayais à un point inimaginable.

▬ Et si je ne veux pas ? Et si ce n'était pas mon rat ? Et si c'était moi, juste moi ? Ne vois-tu que l'alpha ? Il y a pourtant un homme derrière lui.

ça sonnait comme un reproche, et je m'en voulais, ce n'en était pas un, elle avait rarement vu l'homme, pour ne pas dire jamais, parce que l'alpha était intenable quand elle était dans les parages, il devait avoir des tendances maso. Elle le repoussait toujours. Sans arrêt. Je savais qu'elle m'en voulait, mais ne pouvait-elle pas chercher à voir le meilleur, même dans le pire, est-ce que pour une fois, ne pourrait-elle pas voir les bonnes choses ? Parce que moi c'était ce que je voyais. Une femme qui avait l'étoffe pour me tenir tête, qui me ferait garder les pieds sur terre, qui me remettrait à ma place quand j'irais trop loin. Voilà ce que je voyais en elle. Voilà ce qui me plaisait tant chez elle. Ce qui m'attirait et ce qui attirait mon rat. Nous étions en parfaite osmose sur ce coup là.

▬ Laisse moi le faire alors, ne te fermes pas à mon approche, laisse moi te connaître, laisse moi une chance de te montrer qui je suis ...

Je ne la supplierais pas, faut pas pousser non plus, et puis je n'avais pas besoin de ça. Ce n'était qu'une question de temps avant que son rat ne prenne vraiment le contrôle pour la première fois. Ne pouvait-elle pas le laisser faire rien qu'une fois, tout se simplifierais grandement pour elle, elle n'aurait plus à lutter, si seulement elle prenait le temps d'écouter ce qu'il avait à lui dire.

Un cauchemar ? Quel cauchemar ? Une vague d'inquiétude me traversa. C'était quoi cette histoire encore ?

▬ Tu te dévalorise trop Sara. Tu n'as pas idée à quel point les autres te respectent. Bon d'accord, en fait il te craigne, pour eux, tu es dangereuse.

Mes yeux brillèrent de haine l'espace de quelques secondes. Elle avait le don de mettre les pieds dans le plat de la pire des manières.

▬ Je le vois parce qu'il me la montrer. Toi non plus tu ne sais rien de moi. Tu ne sais rien de lui non plus. Ne parle pas de lui, cela ne te regarde pas. Je m'occupe de lui.

La colère faisait vibrer ma voix, mais je n'en avais cure. Penser à lui me faisait beaucoup plus mal quand c'était elle qui abordait le sujet. Explosif comme mélange : l'insoumission de Sara, et les offres débiles de Daemon.

Je savais qu’il avait raison, mais je ne me sentais pas la force d’approuver ses dires. Je baissai lentement les yeux vers le sol avant de les relever sur son visage livide. Morgan, était un homme. Un homme maudit par le rat. Je déglutis en détaillant ses traits fins. Mon regard se baladait sans gêne sur chaque parcelle de sa peau translucide. Un sourire mesquin déforma le contour de mes lèvres.

Je ne pouvais pas me permettre de ressentir de la sympathie pour le diable!!

« Tu te trompes sur tellement de choses, Morgan. Je te connais, car contrairement à toi, je prends le temps d’observer au lieu de rêver d’une paix impossible à accomplir. »

J’haussai les épaules d’un air dégagé. Ma bête tressaillit mécontente des réflexions que je tenais à l’égard de l’alpha du clan mais je m’en foutais d’être puni pour si peu. La douleur se répandit peu à peu dans mon corps mais je supportais. Je refusais de broncher une seconde fois en face de lui. C’était un peu trop humiliant et dégradant !

« Je suis prête à un compromis. Je ne me fermerais plus à tes approches maladroites, je veux bien te donner une chance. Mais une question me perturbe. »

Je marquai un léger silence, toute sourire.

« Tu as conscience que c’est mon rat et non moi ? Soyons francs, ma bête te veut à un point démesuré. Mais ce n’est pas moi. Nous sommes deux êtres parfaitement dissociables. Pour toi aussi c’est pareil n’est-ce pas ? »

Je fis un pas en avant les yeux rivés sur son visage. Mes mains devinrent moites et tremblantes. Je sentais la pression monter d’un cran.

« Personne ne me craint. Ils craignent le sort que tu leur réserve si malheur il m’arrive. Ne sois pas débile. » Me moquai-je à demie voix.

Mon souffle s’accéléra. Je sentis ma cage thoracique se compresser, tentant vainement de retenir ces flots émotionnels qui menaçaient de m’échapper. Je serrai les poings. Que ce soit Daemon où moi, Morgan avait tord sur toute la ligne. Il n’y avait plus rien de bon à tirer d’une personne détruite, et rongée par le mal incurable. Néanmoins cette fois je gardais mes pensées pour moi, histoire de ne pas déclencher une nouvelle avalanche d’insultes et de mauvaise humeur. Bizarrement, nous étions calmes. Nous étions bien en ce moment. Je crois même que c’était notre première conversation normale depuis … Toujours.

Forever him …
He is the God.

Le vent me susurrait des pensées étrangères à mon corps. Ce foutu rat, n’en ratait jamais une ! Il chantonnait, sifflait et me disait de choisir Morgan. C’était lui pour toujours. Il était le Dieu. Je fronçai les sourcils.

Mais moi, je n’étais qu’une humaine.

La colère faisait vibrer mes mains.

« Peux-tu me dire avec certitude qui tu veux ? Le rat ou moi ? Parce que je te rend volontiers ta bête … »

Je me mis sur la pointe des pieds afin de me hisser à son niveau. Prenant appui sur ses épaules, mon cou se courba et mes lèvres frémirent avant de se sceller aux siennes. Un baiser pudique et fugace entre deux êtres voués à la destruction. Je le repoussai légèrement en faisant volte face. Le souffle du vent vint à la rencontre de mon visage.

« Je pars en premier! » Claquai-je en accélérant le pas.