Sara & Calli ♥

Ce n’était jamais facile de faire le point dans ma tête. Il y avait une voix, autre que la mienne, qui sifflait secrètement au gré du vent. C’était une descente en enfers quotidienne mais, il fallait être deux pour descendre. Moi et la bête. Ce rat vicieux et puant qui ne me lâchait pas d’une semelle depuis un bout de tout. J’essayais de tout arrêter, de le pousser hors de moi mais c’était impossible. Je ne savais plus qui j’étais, et c’était encore plus pénible de savoir ce que j’avais à faire. A chaque fois je me heurtais à Morgan et à ses idéaux. Toujours lui. Il obsédait mes pensées mais pas d’une manière positive.

« Connard ! » Sifflai-je, en claquant l’immense porte en acier.

Je me faufilai dans les rues de Wererat Town à la recherche d’une once d’humanité. L’air était suffocant et l’odeur des rats me filait la nausée. Je déambulai dans les rues à l’afflux de beauté et de strass, comme j’avais l’habitude de le faire lors de ma phase humaine. C’était différent de flâner où de faire les boutiques à présent ; j’avais l’impression qu’on sondait mes moindres faits et gestes ! Mais ça personne ne pouvait le comprendre. Puis je ne parle même pas des hunters qui essayaient de nous faire la peau à tout bout de champs !

Je respirai l’air à plein poumon. La fumée des voitures, et la pollution de Manhattan m’avaient manqué. Je suppose que j’étais restée confinée trop longtemps parmi les rongeurs. J’en avais presque oublié les vraies valeurs de la vie. Je traînai des pieds en faisant glisser mes souliers sur le sol givré. Il faisait froid, partout. En tout cas c’est ce que mon corps ressentait. Je m’éloignai peu à peu du monde des garous et mon esprit en fut soulagé. Sans que je ne m’en rendre vraiment compte, et sans que je l’ai calculé … J’avais atterri à l’hôpital. Un sourire innocent naquit au bout de mes lèvres. Calli était là. Elle était la seule en qui j’avais confiance en ce temps de guerre, mon allier, ma meilleure amie aussi. Je longeai la salle d’attente en fusillant deux ou trois infirmières juste pour la forme, puis je débarquai dans le local de la jeune brune.

« Toi ! » Scandai-je d’un ton rieur.

J’arborai un air ravi en la voyant, comme à chaque fois d’ailleurs.

Grâce à elle je me sentais à nouveau … Moi. A nouveau humaine.

Je suppose que c’était mon petit plaisir mesquin.Le seul moment de ma journée où j’étais enfin heureuse. Comparée à ma tronche de déterrée habituelle, croyez-moi il y avait un sacré progrès.

« Ne vous inquiétez pas madame, tout ira bien, ce n'est qu'une petite blessure, rien de très grave... » disait Callisto tout en se forçant à sourire. Enfin, se forcer... Certes, la jeune femme avait tendance à sourire assez rapidement et sans trop de difficultés, mais, disons juste qu'il y a certains moments où... Où elle n'en pouvait plus. Que voulez-vous, elle n'en pouvait réellement plus des personnes qui se rendaient aux urgences pour des plaies toutes les unes plus superficielles que les autres. Sa patiente ne souffrait que d'une toute petite blessure. Une égratignure, à peine ! Et pourtant, elle en faisait tout un plat. Bon, d'un autre côté, la jeune femme trouvait le tout plutôt comique. Cela lui rappelait vaguement le comportement qu'elle avait plus jeune. Lorsque ses parents étaient encore en vie. Lorsque son frère était encore à la maison. Elle criait à tue-tête dès qu'elle avait une quelconque blessure. Elle était effrayée par le sang, et disait qu'elle allait mourir, qu'elle ne s'en remettrait pas. Puis son frère arrivait ensuite avec des bandages et la soignait tant bien que mal. Frère qui est désormais parti. Après avoir été mordu par ce que la demoiselle qualifie de « bestiole », il est parti de la maison, honteux, et sans plus jamais revenir. En réalité, même si Callisto essayait de ne rien laisser paraître, elle souffrait réellement de l'absence de son grand-frère, tout comme de l'absence de se parents... Sa seule famille était sa grand-mère, qu'elle voyait de temps à autres. Sinon, la brunette passait ses soirées dans son appartement, de temps à autres entourée de quelques amis. D'ailleurs, justement, Callisto pensait à aller rendre une petite visite à Sara, une de ses amies qu'elle n'avait pas eu l'occasion de voir depuis un petit moment. Oh, elle lui manquait. Puis surtout, Callisto s'inquiétait pour elle. Elle la trouvait un peu... Etrange, ces temps-ci. Mais peu importe, étrange ou pas, Sara est et resterait son amie. M'enfin, cela n'allait pas empêcher la jeune femme de fouiller un peu pour essayer de trouver le fin mot de cette histoire.

Quand on parle du loup ! « Toi ! » Callisto se retourna et reporta son regard sur la principale concernée. Sa meilleure amie. Elle était enfin là ! Il n'y aurait donc pas besoin de se déplacer pour la voir ! Plutôt une bonne chose, non ? Un large sourire s'afficha sur le minois de la brunette. Oh oui qu'elle était heureuse ! Enfin, Sara était tout de même très synchro. Justement, elle avait débarqué au moment où la cliente de la miss avait débarrassé le plancher. Bref. Callisto posa son stéthoscope avant de se diriger vers elle. Puis, sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit, elle lui sauta dessus et l'enlaça bien fort, comme une gamine .« Tu te fais désirer, ma belle ! » Elle laissa échapper un petit rire avant de poursuivre. « T'étais où tout ce temps ?! Tu m'as manqué, petite chipie ! Aujourd'hui, je te lâche pas ! En plus, j'ai bientôt terminé mon service, je termine tôt aujourd'hui... Bon allez, viens avec moi, on va aller à la cafétéria ! » Callisto lui prit la main puis se dirigea gaiement vers le lieu en question, avant d'aller s'asseoir autour d'une table et de proposer à Sara d'en faire de même. « Alors alors, qu'est-ce que t'as fait de beau ces temps-ci ? Raconte-moi tout ! De mon côté... Il m'arrive que des tuiles. Autant ne pas y penser, hein ~ ? » Elle pianotait sur sa table avec ses doigts tout en gardant son éternel sourire, attendant une réponse de la part de son amie. En réalité, elle voulait en savoir un peu sur la vie de la jeune femme... Parce qu'elle s'inquiétait réellement pour elle. En général, elles se voyaient beaucoup plus souvent, mais on aurait dit que ces temps-ci, son esprit était ailleurs, comme si elle avait des problèmes... ? Bref. Callisto voulait tout savoir. Et elle ne baisserait pas les bras avant d'y voir plus clair.

Callisto était resplendissante, comme d’habitude. Je lui enviais son élégance et sa beauté si naturelle et apaisante. J’avoue que je l’aimais beaucoup. Je voyais en elle toutes ces choses que je peinais à être, maintenant que j’étais un rat-garou. Mais ça elle ne le savait pas. Pourtant je n’avais aucun secret pour elle. Nous nous racontions tout, jusqu’aux détails les plus débiles. Le truc c’est que je changeais le contexte en rendant mon entourage un peu plus … Fréquentable et humain.

Elle me serra dans ses bras et je me sentis coupable de lui mentir. Mais j’appréhendais trop sa réaction pour être totalement honnête avec elle. La première fois que j’avais débarqué à l’hopital, je n’étais qu’une patient comme les autres. Elle avait pris le temps de prendre soin de moi, sans poser de question et sans se soucier de mon identité. Je crois que j’étais tombé dans le panneau tête la première. J’avais trouvé du plaisir à compter sur quelqu’un, et j’étais revenu tous les jours après.

« Comment ça tu me lâches pas ? Je suis une jeune femme très occupée moi. » Plaisantai-je, en lui souriant de toutes mes dents.

L’idée de passer la journée avec elle m’enchantait, cela dit j’avais trop peur de ma bête et de ses réactions extrêmes. Et si j’étais prise de spasmes en pleine rue ? Pire encore, et si je me transformais en une boule de poile puante et hideuse sous ses yeux ? Elle n’y comprendrait vraiment rien. Calli me saisit par le poignet et m’entraîna hors de la salle d’examen jusqu’à ce qui me semblait être la cafeteria. Je m’assis en face d’elle alors qu’elle parlait de sa journée avec énergie. Quelle piplette ! J’éclatai de rire sans la quitter yeux. Elle était si adorable et attachante avec ces manies d’enfant surexcitée.

« Oh moi, je n’arrête pas de me cacher. Je suis poursuivie … » Commençai-je en préparant le terrain. « Tu as entendu parler de cette histoire de garous ? »

Ma voix tremblait légèrement, montrant mon angoisse. Puis de toute façon, même si ça n’avait pas été le cas elle l’aurait tout de suite vue venir. Callisto ne me connaissait que trop bien. Plus que moi-même parfois. Je déglutis. Ce n’était pas la première fois que j’essayais de lui confier la réalité de la chose qui habitait en moi, mais je n’y arrivais jamais. A chaque fois, je prenais peur alors je changeais de sujet où je me levais pour faire autre chose. Mon cœur se serra. Une amitié saine était basée sur la sincérité. Considérerait-elle mon silence comme une trahison ? Je n’avais pas délibérément menti. Juste omis de parler. C’était différent ? Où peut-être pas tout compte fait. Je retins mon souffle en enchaînant : « J’habite chez les rats … En ce moment… Enfin pas avec eux mais je suis tout le temps fourrée dans leurs quartiers. Ce n’est pas aussi pourri qu’il n’y parait. Ils font exprès de garder l’aspect extérieur crasseux pour éloigner les visiteurs. De l’intérieur les dortoirs sont de vrais palaces. » Riais-je d’un air nerveux.

Je pianotai sur la table. Mon stresse était palpable à des KM à la ronde. Putain, je regrettais déjà d’en avoir trop dis. Mes yeux s’emplirent de larmes mais je n’allais pas pleurer.

« Si j'étais différente, seras-tu toujours mon amie. Je veux dire ma meilleure et seule amie ? »

Elle était enfin de retour. Sa petite blonde. Sa poupée barbie. Enfin, blonde... Certes, elle n'avait pas les cheveux très clairs mais la jeune Callisto comparait bien souvent les gens par rapport à elle pour faire ses conclusions. Résultat ? Sara était blonde. Bref, peu importe. Le plus important, c'est surement le fait qu'elle lui avait terriblement manqué, oh que oui. Son visage, son sourire... Plus les jours passés, et plus Callisto se sentait seule. Alors Sara lui apportait une certaine dose de courage et de réconfort dont elle ne pouvait se passer, surtout maintenant qu'elle y était habituée. « Comment ça tu me lâches pas ? Je suis une jeune femme très occupée moi. » La brunette ne put s'empêcher de laisser échapper un petit rire face à la remarque de son ami. Très occupée ? Oh, elle n'en doutait pas une seconde ! Mais elle allait devoir rester.

Comme une gamine, la jeune femme se mit à courir vers la cafétéria en trainant son amie. Elle ne voulait pas perdre une seconde. Elle avait tant de chose à lui dire, tant de chose à lui demander. Parce que oui, Callisto s'inquiétait réellement pour elle. Callisto avait une drôle d'impression. Callisto avait un drôle de pressentiment. Mais pourtant, Callisto n'osait rien lui demander. Alors elle essaya d'induire le sujet subtilement, en se contentant de lui demander des nouvelles tout en lui en donnant de ses journées. En somme, cela se résumait à... Des ennuis, des ennuis et des ennuis. Bref. Le rire de Sara lui mit du baume au coeur. Cela lui faisait vraiment plaisir de l'entendre rire ainsi. Même si cela devait l'être à ses dépends. Oh et puis zut, si ses problèmes pouvaient être un sujet comique pour une fois, ce n'était pas une si mauvaise chose, n'est-ce pas ? Pourtant, cette ambiance détendue ne dura pas bien longtemps...

« Oh moi, je n’arrête pas de me cacher. Je suis poursuivie … » Poursuivie ? Un air interrogateur s'afficha sur le minois de la petite Callisto. Comment ça, poursuivie ? Enfin, interrogateur... On pouvait aussi y déceler de l'inquiétude. Que lui arrivait-il au juste ? Quelqu'un lui en voulait ? « Tu as entendu parler de cette histoire de garous ? » Les yeux de Callisto s'agrandirent encore plus. Des garous. Encore heureux. Toujours heureux. Ils n'attiraient que des problèmes à cette ville. L'infirmière laissa échapper un long soupir avant de reprendre la parole. « ... Encore eux … Oh oui, j'en ai entendu parler, bien trop d'ailleurs. L'un d'eux en a après toi ? Si tu veux, je peux demander à un de mes amis de s'en occuper ! Je connais quelques chasseurs, ils pourraient te venir en aide ! » Callisto n'avait rien contre les garous. Du moins, pas contre certains. Car, disons juste que pour la plus grande partie d'entre eux... Elle avait un peu de mal. Surement parce que certains devaient être à l'origine de l'accident de ses parents. Que d'autres étaient à l'origine de la transformation de son frère. Et maintenant, ils s'en prenaient à son amie ? Non, cette fois-ci, elle ne comptait pas rester les bras croisés. « J’habite chez les rats … En ce moment… Enfin pas avec eux mais je suis tout le temps fourrée dans leurs quartiers. Ce n’est pas aussi pourri qu’il n’y parait. Ils font exprès de garder l’aspect extérieur crasseux pour éloigner les visiteurs. De l’intérieur les dortoirs sont de vrais palaces. » Son amie riait, d'un air nerveux, certes, mais de son côté, Callisto n'avait plus qu'un air grave sur le visage. Elle ne savait comment réagir. Puis... Que signifiait donc toute cette discussion tournant autour des rats et des garous ? Elle n'avait eu aucune réponse précise, et cela ne faisait que l'inquiéter... Pourtant, la jeune femme essaya de détendre l'atmosphère, en voyant l'état de son amie. « Je n'en doute pas une seconde. Tu me feras visiter un de ces jours ! » Elle arborait un sourire crispé. Elle n'arrivait pas à sourire naturellement. L'inquiétude l'emportait bien trop, voyons. Et elle ne fit que s'amplifier lorsque Sara reprit la parole. « Si j'étais différente, seras-tu toujours mon amie. Je veux dire ma meilleure et seule amie ? » Callisto se leva d'un coup puis se dirigea vers son amie pour la prendre dans ses bras. Elle avait bien remarqué les larmes qui emplissaient ses yeux. Elle avait bien remarqué son stress, son mal-être. Certes, elle ignorait la nature de tout cela... Mais elle ne pouvait s'empêcher de réagir. « Mais bien sûr que oui ma chérie ! Je serai toujours ton amie, quoi qu'il arrive ! Tu sais, mon frère a été transformé par un garou... Il est parti, et il n'est plus jamais revenu... Si un de ces jours, il se décidait à revenir, alors je l'accueillerai toujours comme mon frère... Cela ne change rien si tu es différente, d'accord ? » Elle lui caressait les cheveux, essayant ainsi de la consoler. Elle vint ensuite s'asseoir face à elle avant de lui prendre la main. « Bon, raconte-moi tout maintenant... Quel est le fin mot de cette histoire... ? Je me fais du soucis pour toi, Sara... »

Au début, j’avais eu du mal à réaliser que j’avais sorti toutes ces énormités. Oh my Gosh ! J’étais tombée sur la tête ? Qu’est-ce qui clochait chez moi ? Je m’étais tus depuis toujours alors pourquoi aujourd’hui ? La tête me tournait. Je serrai les poings en baissant les yeux. C’était les pires minutes de ma vie. Pire encore que la transformation. En fait je n’avais pas peur qu’elle le sache, c’est plutôt le fait de la perdre qui me tétanisait. Et si je n’étais plus qu’un monstre hideux et meurtrier à ses yeux ? Il n'y avait aucune chance pour moi. Mon esprit tanguait entre deux mondes, sans que je ne sache vraiment faire partie d’une seule catégorie. J’étais tantôt l’humaine fragile et frivole, puis à la seconde qui suivait j’étais clouée au sol crevant de douleur, recouverte de poils.

Je soupirai.

« Je … »

Callisto m’interrompu par une étreinte. Elle était douce et apaisante, mais je refusais de me laissais submerger par tant d’attention. Je ne méritais pas qu’elle soit aussi gentille avec moi. Je réprimais mes larmes en laissant mes bras ballants flotter autour d’un corps qui ne m’appartenait désormais plus. Ma bête sifflait des chants de désespoirs et de différences, m’interdisant de pactiser avec la proie. Mais ce n’était pas moi ça. Ce n’était définitivement pas le genre de personne que j’étais. Je me refusais à de tels actes de barbaries, même si ma survie en dépendait. Je gémis douloureusement. S’il y avait quelque chose que je détestais le plus au monde, c’était jouer la martyr ! Je me détachai lentement de ma meilleure amie afin de plonger mon regard dans le sien. Quand nous nous étions connus, j’étais déjà un monstre … Mais elle avait été si normale avec moi que je m’étais laissé emportée. J’avais trouvé une façon de vivre mon humanité, alors je m’étais laisser aller dans le mensonge. J’avoue que je m’étais souvent sentie coupable vis-à-vis de la jeune femme …. Elle était si délicate et attentionnée. Mais au fur et à mesure, je m’étais trop attaché pour abandonner ce petit confort personnel. Je restai silencieuse. Il était si difficile de trouver les bons mots parfois. Je déglutis. Son histoire avec son frère m’encourageait mais pas assez. Je lui avais délibérément menti. J’avais falsifiée les faits de mes anecdotes, et changé les identités de 'mes amis'.

« C’est toujours plus facile de ne rien dire. Plutôt que de raconter … »

J’avais de plus en plus de mal à contenir mes émotions. J’avais envie de craquer, de fondre en larmes dans ses bras mais encore une fois, je ne méritais pas qu’elle me soutienne. Je posai mes mains tremblantes sur la table, dévoilant les cicatrices encore rougeoyantes sur mes avant bras. Les processus de mutations étaient horrible mais pour moi c’était encore pire. Je luttais contre ma bête depuis trop longtemps, alors je revenais à chaque fois à la case départ. Et ça, ce foutu rat s’arrangeait toujours pour me le faire payer !

Je raclai ma gorge, devenue trop sèche.

Raconter mon histoire ? Je n’étais pas très douée par relater les faits, surtout quand ceux-ci étaient si ambigus dans mon esprit. Mais Callisto avait le droit de savoir. Je lui devais une explication que je le veuille où non. Je fermai les yeux durant une fraction de seconde. Je ne savais vraiment pas par où commencer … Peut-être par corriger certaines réalités. Je lui avais déjà parlé de Morgan. J’avais juste évité de citer son rang d’Alpha garou. Mon cœur se serra alors que mes lèvres s’ouvraient.

« Tu te rappelles de ce garçon dont je t’avais parlé ? Morgan ?» Commençai-je d’un air absent. Les images défilaient devant moi à une vitesse fulgurante, la bile me montait. Ces souvenirs là, j’aurais voulu les enfouir assez profondément dans ma mémoire jusqu'à les oublier. Mais c’était impossible. J’étais hantée par une vie que je n’avais pas choisie. Une vie que j’étais forcée de vivre parce que … En fin de compte … c’était toujours mieux que le néant.

« Je t’avais dis qu’il me faisait un peu beaucoup la cours. Et qu’il s’était mit dans la tête de m’avoir comme … chérie. Les choses ne sont pas aussi faciles que ça. En fait, Morgan est un rat-garou. C’est l’alpha. Le mâle dominant quoi. Tout le monde lui obéit là-bas, c’est dingue. Pourtant en voyant son physique chétif, on aurait du mal à le voire à l’œuvre mais crois – moi il peut être si effrayant parfois … »

Je soupirais. Il y avait trop d’idées dans ma petite tête, trop de choses à dire et je m’embrouillais complètement. Je me concentrai en pressant mes paumes contre les rebords en bois de la table.

« La légende veut que les lycanthropes s’imprègnent. Je ne sais pas ce qu’il en est pour les panthères mais les rats sont très monogames. En tout cas la famille royale. Le mâle choisis sa partenaire pour la vie et c’est ce qui s’est passé entre moi et Morgan. Il m’a élu, et depuis je me permets de monter sur mes grands chevaux en sa présence. Il me tolère mais les autres ne semblent pas apprécier mon insolence vis à vis de l'autorité suprême, et je me fais souvent charrier dans les dortoirs. »

Je souris d’un air déprimé.

« Mais ça, ça n’explique pas comment je suis devenue comme ça … »

Je redoutais le moment de parler de ma première transformation. Un sentiment de lassitude s’empara de moi. Je cherchais la main de Callisto afin de l’agripper comme une si c’était ma seule chance de survie. Je n’avais jamais voulu en arriver là, lui montrer cet aspect si torturé et noire de ma personnalité. Mes couleurs se ternissaient peu à peu sans que je n’y puisse grand chose, sans doute l’aura de la bête. Depuis quelque temps sa présence se faisait de plus en plus pesante et insurmontable.

« Morgan m’a sauvé la vie. » Me surpris-je à avouer.

Je le détestais pourtant. Je lui en voulais de m’avoir plongé dans ce monde si cruel et différent. Un soupir à en fendre l’âme m’échappa.

« Il a retrouvé mon corps mutilé dans la rue. Je m’étais fait attaquer juste avant, mais je ne me souviens plus très bien des faits. J’ai tendance à croire qu’il a effacé ma mémoire pour … Me protéger ? » Hasardai-je. Je ris d’un air gêné. Je n’avais encore jamais parlé de ça à personne. Je n’avais encore jamais réalisé à quel point cet idiot tentait de bien faire les choses, jusqu’à aujourd’hui. « Il m’a mordu parce que c’était ça, où je succombais à mes blessures. »

Mon souffle se coupa. Morgan m’avait peut-être vraiment rendu service, alors pourquoi tant de haine à son égard ? Je ne cessais de le persécuter avec mes remarques acerbes et désagréables, et il ne répondait jamais. Il ne me faisait jamais rien pour soumettre comme avec les autres rats.
Je secouai la tête d’un air surpris. No way !
Morgan Joann Forbes était un connard. Ni plus ni moins.