Hunter...
J'avisai le cimetière de Greenwood - un véritable parc pour morts célèbres ou simplement riches - en me demandant vaguement si je prenais la bonne décision. J'étais Hunter depuis - quasi - ma naissance. Je vivais pour et avec cette profession depuis très longtemps et aujourd'hui, je remettais ma position en question.
Pour quoi? Pour une proie - d'envergure, certes - qui allait peut-être me bouffer avant que je ne la tue.
Je m'avançai lentement sentant l'odeur de tous les Incubes venir me frotter le nez et le corps. Un frisson me traversa de bas en haut.
Je trouvais ça un peu exagéré d'avoir placé son QG dans ce cimetière-là mais après tout, Abrutit... Pardon!...Daemon aimait l'ironie. De loin, l'entrée ressemblaient à une fusion de deux minuscules églises néogothiques dont on n'aurait gardé que l'entrée et le toit en pointe. Personnellement, je trouvais ce style d'architecture très glauque.
Mais je n'étais pas la patronne de ce groupe.

Dans mon métier, les "sensibles", les "lâches" et les "blaireaux" croyant jouer ne font pas long feu. J'ai vite appris à mettre de côté les deux premières catégories et la troisième n'a jamais fait partie de mon dictionnaire personnel.
Stupide par contre... C'était un mot qui me définissait plutôt bien quand on regardait mes actions suicidaires. Me diriger droit vers la gueule du loup - un petit jeux de mot débile pour me détendre - était une preuve en soi.
J'avisai les petites butes où s'éparpillaient des Incubes en "jouant" à qui ferait le plus de bruit possible. Un vrai lupanar géant.
Infecte!
La nuit vomissait des Monstres. Quand le soleil disparaissait, c'était l'heure où les Armées des Ténèbres sortaient de leurs cachettes pour tenter d'approcher une Lumière qu'ils ne connaîtraient plus jamais.
Une Lumière que les Hunters pouvaient leurs apporter à coup de fusil dans la tronche. Je pressai mon Gluck dans la poche intérieure de ma veste noire.
Beaucoup de mes collègues me certifiaient qu'il n'y avait rien de plus rassurant que de presser la crosse de son arme quand on est face au danger.... je ne comprenais pas pourquoi! Ca ne me rassurait pas. Tout au plus, ça me permettait de me dire que j'avais quand même un truc pour me défendre mais si la créature en face de moi était plus rapide, elle ne me servirait à rien. Je préférais les armes blanches. Plus malléables, plus proches, plus efficaces. Mais surtout, une lame demandait de la dextérité, du savoir faire et une certaine âme artistique.
Faire un gros trou dans une tête, un bébé peut y parvenir pour autant qu'on lui apprend à viser un minimum.
Couper une personne de sorte qu'elle ne se relève jamais, tout cela en évitant de mettre du sang partout sur soi: c'était un art et de l'art.
Ma main descendit rencontrer mon Dirk dans le creux de mes reins.. Mon mentor m'avait offert ce couteau écossais à double tranchant parce qu'il était facile à dissimuler dans la ceinture d'un pantalon - en faisant attention à ne pas s'asseoir bêtement dessus et s'empaler par la même occasion -. Son contact, à lui, me rassura. Durant toutes ces années, il ne m'avait jamais fait faux-bond. Efficace malgré sa petite taille. Je replaçai ma ceinture sur le manche, le dissimulant correctement, au cas où je devais enlever ma veste. Ce qui serait le cas, sans aucun doute.
Alors pourquoi emporter une arme à feu? Parce que les Monstres s'adaptaient à tout et qu'il était de plus en plus ardue de les avoir à l'ancienne. Une balle dans la tête peut être plus efficace dans certaines situations d'urgence qu'un couteau entre les deux yeux dans un cas classique de chasse.

Je me présentai aux portes du cimetière, le coeur calme, les sens aux aguets. Un molosse Incube me barra la route aussitôt que je posai un pied au milieu de la porte ouverte. Je levai les yeux vers ce grand garçon de trente centimètres - au moins- de plus que moi.
Très sympathique!
Un sourire en coin se dessina sur mon visage quand je l'imaginai la bave aux lèvres à agiter la tête en face de son maître comme le bon chien de garde qu'il était et Daemon de lui lancer un petit chocolat dans la gueule.
Visiblement mon sourire avait attisé sa colère.

" Dégage!" Exulta-t-il.

Je failli lui exploser de rire à la tronche mais je me retins.

" Le grand Manitou m'attend, laisse-moi passer!" Ironisais-je, le regard noir.

Il carra ses épaules dans l'espoir - vain- de me faire de douter. Pourquoi les personnes de haute taille ressentaient-elle le besoin de se grandir encore plus pour effrayer les plus petits? C'était une énigme pour moi!
Sa Majesté ne savait-elle pas que plus ils étaient grands et costauds, plus ils étaient cons? J'ouvris la bouche pour répliquer quand une jeune fille aux airs angéliques sous ses mèches de cheveux blonds arriva vers nous en sautillant joyeusement.
Ca par contre, ça me fit peur. Ou presque.
Avec l'expérience, on apprend vite que plus les Monstres semblent innocents, plus ils sont... monstrueux - et il ne s'agit pas d'un pléonasme, je le jure-.
Je ne lui rendis pas son sourire gigantesque. J'attendis simplement de voir ce qu'elle ferait, elle.
Toujours laisser à l'ennemi le soin d'ouvrir les hostilités pour pouvoir se positionner correctement dès le premier assaut.

" Tu veux entrer ici?" Me demanda-t-elle.

Non! En fait, je voulais juste aller au Macdo du coin pour une grande fritte et un hamburger saignant. Pitbull premier ressemblait vraiment à un vendeur Macdo avec ses yeux rouges enragés, ses dents serrées à en grincer et son t-shirt couvert de sang séché. La vache avait dû lui donner du fil à retordre.
Ou pas!

"Ouais! Daemon m'attend."

Ma réponse fut courte mais limpide. Il ne faudrait pas que Barbie soit saturée d'informations. Ca serait dommage qu'elle implose trop tôt.
Quoi que...

"Le Maître t'attend?" Répéta-t-elle en papillonnant exagérément des yeux.

Barbie avait du mal après deux mots, visiblement. J'ouvris ma veste en soupirant dévoilant mon ventre ouvert d'une ligne rouge sombre en voix de guérison sous un chemisier noir sans manche juste fermé par deux boutons au niveau de la poitrine. En réalité, j'avais dû la rouvrir avec un de mes couteaux après être rentrée chez moi. Je me voyais mal revenir ici le ventre lisse comme les fesses d'un bébé alors qu'il m'avait ouvert quelques heures plus tôt.
Sa tête aurait sans doute valu le détour mais je tenais à ce que la mienne reste sur mes épaules encore quelques temps. La fille écarquilla légèrement ses yeux carmins mais n'émit aucun sifflement admiratif.
Merde alors! Je voulais mon sifflement plein d'admiration....

" Tu ne passes quand même pas!"

Je soupirai lourdement. C'était à prévoir.

"Vous êtes sûrs?" Insistais-je, espérant qu'ils changeraient d'avis.

Mais non. Bon! Quand fallait y aller....
J'attrapai mon Dirk et le plantai dans la gorge de l'Incube mâle qui tomba à genoux, ses yeux exagérément ouverts sur moi. Ca n'allait pas le tuer mais ça lui prendrait du temps pour s'en remettre.
Surprise! Surprise! J'enfonçai la lame jusqu'à la garde puis tirai vers moi, lui ouvrant la gorge en un joli deuxième sourire. La fille hurla en se jetant sur moi. Je lui attrapai les poignets et lui flanquai mon meilleur coup de tête lui brisant le nez. Assommer une personne de cette façon est tout un art que j'ai longuement pu peaufiner grâce à feu mon professeur.
J'avais mal pour elle alors qu'elle tombait raide sur le sol.
Après le plan 1, le plan 2 qui consistait à prendre ses jambes à son cou vers l'antre du diable!
J'étais très bonne à ce petit jeu.
Je traverserai le parc en me faufilant par ci par là. Arrivé tout en haut de la plus haute bute, j'entrai dans une sorte de petit manoir aussi glauque que les portes d'entrées. C'était une bâtisse récente. Sa Seigneurie Abrutit avait dû la faire bâtir. J'entrai sans toquer à la porte.
Autant pour la politesse.
Les occupants des lieux me dévisagèrent mais le sang frais d'un des leurs sur moi devait les refroidir.

"Je cherche Daemon!" Lançais-je tranquillement à la cantonade.

Cet endroit ressemblait à une maison clause mixé avec un hôtel sadomasochiste. Certains monstres étaient dans de telle position avec plusieur(e)s partenaires - sans rire - que j'eu envie de m'arrêter et de leur demander comment ils s'y prenaient.
Ma soif de connaissance théorique - je précise- attendrait plus tard. Je grimpai des escaliers couverts de tapis rouge pour me tenir devant une grande porte close en chêne. Un Incube vint à ma rencontre. D'un point de vue de monstre, il était plutôt sexy avec ses cheveux noirs lâchés sur ses épaules, ses yeux rouges cerclés de noirs - lentilles ou pas lentilles?- et son sourire léger. Pas de condescendance, juste un soucis de l'étiquette dont j'avais manqué en entrant comme un bourrin dans ces lieux.

" Puis-je prendre votre veste?" Me demanda-t-il d'une voix terrible basse et sexy.

" Et si je réponds non?" Hasardais-je poliment.

Il haussa un sourcil, son sourire s'accentuant.

"Alors je devrais vous en délester moi-même, mademoiselle?"

" Chaos." Répondis-je simplement en souriant pour la première fois depuis mon arrivée ici.

J'enlevai ma veste en prenant mon arme dans ma main gauche puis la lui tendit simplement. Son regard s'attarda sur mon flingue. Je voyais les rouages de son cerveau se mettre en marche pour me le confisquer sans coup d'éclat. Je le lui tendis simplement. Il me regarda avec surprise.

" Je n'en ai pas besoin!"

" En tant que nouvelle Incube, vous avez le droit de vous défendre de la manière qui vous rassure mais..." Souffla-t-il. " Notre Seigneur ne serait sans doute pas d'accord!"

" Je m'en doute bien mais au final, je n'en ai pas besoin..." M'amusais-je en songeant à mes couteaux.

Il saisit la veste qu'il posa sur son avant-bras gauche alors que le flingue disparaissait je ne savais où.

"Impressionnant!" Fis-je remarquer.

Il sourit simplement en me tendant son bras droit sur lequel je posai ma main gauche. S'il pensait pouvoir m'emprisonner le bras comme ça, il se le fourrait dans l'oeil jusqu'à son derrière tiens. Il me conduisit dans des couloirs décorés avec soin et goût. Il fallait l'avouer.
Nous nous arrêtâmes devant une autre porte en bois sombre. Il l'ouvrit avant d'agrandir ses yeux de stupeur. Je voulus me retourner mais fut projetée violemment dans la pièce avant même d'avoir pu amorcer le moindre geste.

" Justina!" Hurla mon guide.

Barbie alias Justina se tenait au-dessus de moi, toutes griffes dehors, ses yeux rouges tentant de me tuer sur place. J'inversais les rôles sans efforts.

" Arrête ça!" Lui ordonnais-je.

Elle se débattit avec plus de force encore me désarçonnant. Cette connasse allait me hacher menu. Elle n'avait sans doute pas bien digéré que je lui ai démonter son faux nez.
Je l'attrapai à bout de bras avec une facilité étonnante - même pour moi -, la projetai au sol puis plongeai ma main droite sous sa cage thoracique en passant par le bas. Mes doigts se refermèrent sur son corps palpitant. Nos yeux s’encrèrent. Elle, horrifiée et mourante. Moi, sans doute et vivante. Je tirai sur l'organe provocant un hurlement suivi d'un râle et l'arrachait de son corps. Il battit plusieurs fois dans la paume de ma main puis s'éteignit comme si j'avais appuyé sur un interrupteur. Mes yeux se levèrent pour se noyer dans un regard carmin.
Daemon.
Bon... Mon plan avait foiré sur la fin. Normalement, j'aurais dû entrer ici en roulant des hanches, en le vannant puis partir simplement....
Normalement.
Je regardai le coeur puis lui en haussant un sourcil.
Oui?

Daemon se trouvait en face de moi, son visage figé dans une expression des plus détestables. L'Arrogance en chaire et en os. Et aussi Immortel. Ou presque. Malgré sa fatigue qui se sentait à des kilomètres, il restait droit et sublime dans son apparat de supériorité. Il me fixait de son éternel regard rougeâtre qui glaçait le sang. Il semblait vouloir découvrir mes secrets rien que d'un clignement d'oeil pour savoir s'il fallait me tuer maintenant ou attendre encore un peu. Heureusement que mon esprit était bien entraîné à toute forme d'intrusion. Je sentais celle de Daemon comme une caresse de soie sur la peau. Je songeais même de plus en plus qu'il n'avait même pas conscience de vouloir s'infiltrer dans mes pensés. J'avais pu voir à de nombreuses reprises que les Monstres possédant le don de Légilimancie ne ressentaient plus les instants où ils l'utilisaient. Cela devait sans doute être le cas de Daemon.

"C'était toi ... Tout ce boucan."

J'avais pensé que l'effet qu'avait eu la voix de mon guide était uniquement dû à son timbre spéciale mais au vu des frissons que provoqua celle de Daemon, je devais revoir mon jugement. Il me donna envie de fermer les yeux et de le faire parler encore et encore.
Mauvais plan.

"Toi ...Nettoie moi tout ça!"

Un iceberg aurait été plus chaleureux en donnant cet ordre. Je croisai le regard de mon guide et lui sourit légèrement. Un petit sourire en coin qu'il me renvoya avec une lueur de concupiscence dans le regard.
J'étais définitivement atteinte parce que songer à une nuit avec cet Incube ne me dérangea pas le moins du monde. Il répondit à son maître avec juste assez de soumission dans la voix pour ne pas paraître ironique. Daemon ne semblait absolument pas touché par la mort de l'un de ses serviteurs. Pourtant, au vu du zèle dont cette pauvre fille avait fait preuve en voulant m'arrêter, il aurait au moins pu se mettre en colère pour sa perte.
Non?
Ses yeux, précédemment mornes et froids, se rallumèrent pour une flamme amusée voir moqueuse.

Tu comptes le frire ?

je fronçai les sourcils en regardant l'organe mort dans le creux de ma main. Avais-je envie de le manger?
Pas spécialement. Je le tendis à mon guide qui avait fait disparaître le corps. Il le prit simplement en s'inclinant.
Sa Majesté était vraiment épuisée au vu des teneurs de sa voix lourde et de son corps légèrement replié sur lui-même. Une part de mon cerveau se demanda ce qui avait bien pu pousser le chef des Incubes à ne pas dormir. Sans doute rien de grave sinon j'en aurais entendu parlé.
Logiquement.
Mais je ne pouvais plus être sûre de rien ni de personne à présent. J'étais une brebis galeuse tombée entre les mains de l'ennemi. Irrécupérable mais liquidable.
Il m'ordonna de le suivre. Je restai deux pas en arrière mais je suivais sa cadence sans efforts apparent. Les couloirs étaient de plus en plus nombreux mais toujours aussi bien décorés. J'ouvris la bouche pour lui demander si tant de bon goût était de son fait mais me retint in-extrémiste.
Quelle question stupide quand même.
Et après ça, je lui passerais ma recette de pâtes spéciales italiennes.
Qu'est-ce qu'on se marrait ici!
Il ouvrit une porte donnant dans une... J'haussai un sourcil.
Sa chambre?
Ca, une chambre? Mon salon - pièce la plus grande de mon appartement - était plus petit que cet endroit. Un mini bar qui avait déjà été vandalisé au vu des cadavres. Une bibliothèque qui m'aurait fait saliver en temps normal et que j'aurais eu tôt fait de prendre d'assaut. Un baldaquin deux places immenses couverts de draps en satin. Deux fauteuils autour d'une petite table. Deux autres dans les coins.
Pendant quelques millièmes de secondes, je me sentis minable dans cet endroit.
Quelques millièmes de secondes seulement.
Il n'arrêtait pas de me détailler même quand je passai à quelques centimètres de lui. Qu'est-ce qui pouvait bien l'intriguer autant chez moi?
Mes yeux étaient couverts de lentilles rouges comme le regard de tous les Incubes. J'avais tenté de trouver les plus colorées sans tomber dans l’excès pour couvrir le bleu de mes yeux. Mes habits n'étaient pas spécialement ravageurs: un chemisier fermé juste au niveau de la poitrine, un jean noir troué et serrés dans des cuissardes faciles à retirer au cas où. Pas une tenue qui méritait un tel acharnement visuel.

Tu ne sais pas qui tu es."

Je me figeai et fronçai les sourcils à cette phrase lâché dans un murmure fatigué. Il déraillait à présent? Je le dévisageai au milieu de la chambre.

Toi aussi, tu ne sais pas qui tu es. C'est pour ça que tu ne me le dis pas."

"Je crois que tu dois être vraiment épuisé parce que je ne comprends rien à ce que tu déblatères. " Crachais-je, un peu piquée à vif sans vraiment savoir pour quoi.

Son ricanement m'énervait au plus haut point.
Je ne savais pas qui j'étais? Bien sûr que si. Je suis Heileen Andrew Wellington, Hunter indépendante , venue ici pour te tuer, mon petit.
C'était simple. C'était moi.
Je soupirai en passant une main lasse dans mes cheveux noirs.

" Je ne pensais pas que tu serais fatiguée. Je repasserai plus tard, si tu veux." Hasardais-je pressée de mettre fin à ce simulacre.

Je ne me sentais pas bien ici. Il me détaillait d'une façon qui me dérangeait. Comme une bête curieuse. Je n'aimais pas cette sensation. Je n'aimais pas son regard. Je n'aimais pas mon coeur trop bruyant.