"The beauty of the dark"
Ft Aiden I. Callagher & Sara J. Gordon

"Fresh kills river. Ce soir. S."
Message envoyé .

Je m’avançai dans l’allée bondée en crispant les mains autour de mon foulard vert. C’était un sentiment étrange de me noyer dans la masse des humains. Avec le temps, la peur et la douleur, j’avais fini par perdre mon sentiment d’intégrité pour la race normale. Je déglutis. A présent je n’appartenais à aucun clan distinct. Je n’étais pas un garou, encore moins un rat, je n’étais pas humaine non plus. J’étais … Seule.

Alone.

Le rat siffla sournoisement à mon oreille, m’invitant à célébrer ma solitude autour un verre d’alcool forte. Mais ce n’était pas mon genre. Je n’aimais pas les soirées arrosées ni les lieux de perditions. C’était trop sombre, trop sale et effrayant pour moi. J’haussai les épaules en continuant ma route. Une jeune femme effleura accidentellement mon épaule. Je clignai des yeux en la regardant s’éloigner. Les ténèbres avaient fini par engloutir sa silhouette fine, alors que moi, ils ne me lâchaient pas d’une semelle. L’obscurité caressait mon âme de trop près. Elle m’enveloppait d’une beauté et d’une cruauté dont je ne voulais absolument pas.

Ma pauvre Sara, tu es complètement à côté de la plaque.

Un rire d’enfant m’échappa alors que je m’engouffrais dans ce qui me semblait être une double voie. Je voyais les lueurs des étoiles perler à la surface de la rivière de fresh kills. Ce nom me donnait froid dans le dos, mais j’étais immanquablement attiré vers l’eau et le silence.

Aiden.

Je ne l’avais pas vu depuis quelques temps déjà. Peut-être deux mois. Je soupirai en levant les yeux au ciel. Il devait sûrement être en mission top secrète pour Sir Morgan. Tiens ça me faisait une raison de plus de le haïr celui là. Ma bouche se courba en une grimace infantile avant que je me laisse tomber au sol, au bord de la rivière. J’enlevais mes chaussures avant de plonger mes pieds nus dans l’eau. Un frissonnement bruyant m’échappa lorsque ma peau chaude entrait en contact avec la froideur du liquide.

Bouh.

Je souris en balançant les jambes. Des filaments de lumière bleue se reflétaient sur ma peau translucide, la rendant plus colorée et plus vivace. Je fermai les yeux, me laissant complètement submergée par le ruissellement de l’eau et le craquetement des feuilles mortes. Un bruissement spécial retint mon attention.

Il était là.

« Je savais que tu viendrais. » Lançai-je jovialement.

Je me retournai afin de croiser son regard.

« Pas de mouvement brusque. Si je tombe, je me noie. Je suis une piètre nageuse. »

Mon rire cristallin fusa de toute part. Je devais être un peu trop heureuse de le voire. Chiottes !

Le temps entame le dernier segment du cycle journalier ; la nuit tombe à nouveau sur la ville, silencieusement. Moi, bêtement, je constate que je vais enfin pouvoir vivre pleinement et exhiber ce qui se cache dans mon esprit.
C’est comme ça tous les soirs.
La lumière est chassée, lentement mais inexorablement par les ténèbres, laissant place au froid glacial de l’obscurité. Bizarrement, ça ne me dérange absolument pas. A force, on s’habitue. Je tourne, je tourne en des milliers de pas qui ne mènent nulle part.
Je suis seul.
Sans soleil.

Mon portable vibra soudain dans ma poche. Je me demandais qui pouvait bien m’envoyer un texto à une heure pareille, puisque de toute façon, personne ne m’en envoyait jamais. Mon cœur fit soudain un bon. Il n’y avait qu’une réponse possible, ou sinon c’était mon opérateur qui me jouait des tours. Je glissais lentement l’appareil hors de mon pantalon en priant pour que j’aie raison, et puis lorsque je fis coulisser l’appareil, un immense sourire étira mes lèvres.
Sara.
Il suffisait de quatre lettres pour mettre mes sens en émoi, mais je ne comprenais pas pourquoi. Enfin si, je le savais, mais… c’était si inhabituel ! Si… étrange. J’étais quelqu’un de froid, distant, sans émotions, non ? J’en savais plus trop rien. Bref, le message disait « FreshKills River. Ce soir. S. » Bien sûr que c’était elle ! J’étais comme un gamin excité par son premier rendez-vous, et pourtant, j’en avais eu un tas d’autres avant. Mon cœur battait la chamade, c’était de pire en pire. Que pouvais-je contre moi-même ? Rien, absolument rien. J’avais beau lutter, m’accrocher de tout mon soul au rivage, j’étais peu à peu emporté par le flot de mes émotions. Je l’appréciais, un peu trop. Zut. Je ne faisais que m’attirer des ennuis, et pourtant… ça me plaisait. Je n’étais ni angoissé, ni effrayé, non, seulement exalté. Je m’empressais de me diriger vers le lieu du rendez-vous, ne perdant pas une seconde. La nuit arrivait, et cela signifiait que nous étions le soir, donc c’est que j’étais à l’heure.

La rivière. Drôle d’endroit pour une nouvelle rencontre, mais ça ne m’étonnait guère de Sara ; elle aimait ce genre de choses. Lorsque j’arrivais, elle me tournait le dos, les pieds à moitié dans l’eau. Je souris légèrement, malicieux. « Je savais que tu viendrais. » Elle ne s’était même pas retournée. Elle se courba enfin pour me montrer sa bouille enfantine, et j’accrochais mes yeux au siens. « Pas de mouvement brusque. Si je tombe, je me noie. Je suis une piètre nageuse. » Je ris gaiement avec elle. Bon sang ce qu’elle m’avait manqué ! Deux mois, c’est trop long. Je battis l’air des bras, pour rire, puis vint m’installer à côté d’elle, au bord de la rivière.

« Tu as mis longtemps avant de m’appeler… » lançai-je, content. « Un problème avec ton rat ? »

La nuit enveloppait sa silhouette d’un gothisme effrayant mais si charmant. Je plissais les yeux afin de mieux détailler ses traits secs et son petit air revêche habituel. Un sourire d’enfant se traça sur mes lèvres alors que je me levais à sa rencontre. Mon cœur faisait des sauts périlleux à l’intérieur de ma poitrine. Je retins mon souffle, de peur qu’il ne puisse capter mon excitation avec la même facilité déroute qu’il pouvait lire mes pensées.

« Je ne t’ai pas appellé. J’ai envoyé un texto ! » Corrigeai-je taquine.

Mes plantes nues rencontrèrent la froideur du sol au fur à mesure que je me dirigeais vers lui. J’éclatai de rire en penchant légèrement vers son visage. Il n’était pas plus différent que dans mes souvenirs, et pourtant j’étais encore plus heureuse de le voire. Deux mois c’était beaucoup, même pour de simples amis ! Je déglutis en prenant un air solennel et convaincu.

C’est cela. Des amis

Je baissai les yeux, honteuse de mes propres mensonges.

« Tu sais ce que j’aime le plus chez toi ? » Claquai-je soudainement.

J’haussai les épaules.

« J’adore comment tu fais semblant d’avoir rien entendu. »

Je faisais allusion à mes pensées, et accessoirement à celle de mon rat. Peut-être même étais-ce la même chose dans la mesure où nous étions deux êtres indissociables l’un de l’autre. Le vent froid caressa mes bras nus, il ébouriffa mes cheveux rebelles puis s’évanouit dans un sifflotement strident. Je levai mes avants bras vers Aiden, dévoilant fièrement mes anciennes cicatrices. Depuis quelques semaines mes mutations étaient devenues moins violentes, toujours aussi douloureuses mais moins violentes. J’en étais arrivé là, à faire un compromis douteux avec la bête. Ma liberté contre le respect de l’alpha.

« Il y a eu du changement … Pendant que tu étais entrain de sauver le monde. » Me moquai-je.

Mes yeux s’illuminèrent alors que je frôlai accidentellement, ou pas, sa main. C’est bien que tu sois revenu … Je m’étais trompé en croyant que la distance me ferait oublier mes sentiments pour le jeune homme. Les Kms ne faisaient qu’encrer un peu plus le vide qui émanait de mon cœur. Nous étions deux points perdus dans l’immensité de ce monde, deux points obscurs qui se détachaient des ténèbres pour y retourner au final. C’était ainsi … le destin . Mickey Mouse grogna dans ma tête, approuvant mes dires. Cette saloperie était résignée à me soumettre aux lois du clan, celles de la dynastie Forbes. Je secouai la tête. Je devais oublier l’espace d’une soirée, j’avais le droit d’oublier. Un soupir m’échappa discrètement alors que je bousculais légèrement Aiden. Je saisi sa main et le tirai au bord de l’eau. Mes yeux se voilèrent d’obscurité. C’était apaisant de me noyer dans l’inconnu. Je perdais mon identité dans les ténèbres, je devenais n’importe qui et personne. Les reflets de la lune se déposaient sur la rivière par endroit, créant un magnifique effet optique. Je me laissais volontiers submerger par la beauté mystérieuse des arbres et le ruissellement distinct de l’eau lorsqu’un zozotement me tira de ma rêverie. Je serrai ma prise sur le jeune homme derrière moi.

L’air …

Je me sentis suffoquer l’espace d’une seconde. Mon cœur rata un battement puis un deuxième puis … Plus rien. Ma respiration redevint normale. La bête s’était scellée au silence, laissant libre cours à mon imagination. Je me sentais libre et légère, comme un poids qu’on m’avait ôté.

Je fis volte face.

« Tu l’as senti toi aussi ? » M’enquis-je les yeux écarquillés.

Elle était égale à elle-même, songeais-je en l’observant sans discrétion aucune. Ce même sourire enfantin, ces mêmes yeux pleins de vie, ces mêmes remarques blagueuses pour me dérouter. Si nous étions autant attirés l’un vers l’autre, peut-être étais-ce justement parce que nous étions si différents, opposés. D’emblée, sans que je m’en aperçoive tout d’abord, mon cerveau se brancha sur le sien, instinctivement, comme s’il en avait toujours été ainsi. Même après deux mois de séparation. Je ne sais pas si l’on pouvait nommer ça une séparation, alors que nous n’étions pas ensemble. Dans mon esprit, ça l’était pourtant. Mon rôle de bras droit m’avait écarté tout ce temps d’elle, et dans un certain sens, je m’étais convaincu que c’était mieux ainsi. J’avais espéré que pendant tout ce temps, mes émotions auraient le temps de tarir, de s’effacer. Mais je me trompais. Je le compris dès l’instant où je la vis, ou plutôt, dès l’instant où je reçus son sms. Je compris que jamais je ne pourrais oublier ce que j’éprouvais elle. Zut. L’aimer était la chose la plus insensée qu’aie jamais entreprit mon cœur, et je me haïssais pour ça. Et cependant, c’était tellement agréable de sentir la caresse de son souffle sur ma peau, d’entendre sa voix, ses pensées, laisser ses mains se poser sur mon torse ! Je niais tout en bloc, mais je savais que ma muraille défensive n’en aurait plus pour longtemps. Je réprimais une grimace. Morgan me tuerait. Il suffisait qu’il en ait envie, et je serais à ses pieds, mort.
Sa voix m’extirpa de mes sombres pensées.

« Je ne t’ai pas appellé. J’ai envoyé un texto ! »

Je souris. Elle n’avait pas changée, toujours aussi pointilleuse… elle rit. Elle s’approcha de moi, et même si elle tentait de cacher son enthousiasme, je pouvais le sentir, l’entendre ; elle l’était peut-être tout autant que moi, si ce n’est même plus. Ce constat m’arracha un sourire, inconsciemment. Je n’aurais pas du. Je ne lui répondis pas. Elle baissa les yeux, et me lança soudain :

« Tu sais ce que j’aime le plus chez toi ? »

J’ouvris grand les oreilles, prêt à entendre une réponse intéressante, la laissait hausser les épaules.

« J’adore comment tu fais semblant d’avoir rien entendu. » Je souris à nouveau. C’était inutile, elle savait que j’entendais tout. Je faisais semblant d’être indifférent alors qu’au fond, mes envies me dictaient bien une autre conduite… Non ! Le vent se leva, comme pour répondre à mon demi-refus. Je ne devais pas faire ça, pas me laisser aller. J’étais un rat puissant, mon dieu ! Elle leva ses bras, pour me montrer ses cicatrices.

« Il y a eu du changement … Pendant que tu étais entrain de sauver le monde. »

Je haussais à mon tour les épaules ; elle ne croyait pas si bien dire. Elle semblait mieux maitriser ses mutations, ce qui me causa du chagrin. Car, implicitement, cela voulait dire que je n’aurais bientôt plus d’excuse valable pour la voir. Elle frôla ma main, et je retenais ma respiration. Pourquoi jouait-elle ainsi avec le peu de retenue qu’il me restait ? Elle me poussa pour rire, et m’entraîna aussitôt vers l’eau. Je me laissais faire, bien trop heureux d’être malmené de la sorte. Sa main serra la mienne. Soudain, l’espace d’un instant, d’une brise, d’une seconde, tout bascula. C’était comme si l’on m’arrachait la moitié de mon âme, aussi obscure cette part de moi soit-elle. Douleur. Le rat avait disparu. Cette sensation de vide m’était inconnue, ce silence dans mon esprit si étrange. J’avais peur. Non, j’étais terrifié. Sara se retourna d’un bloc vers moi, seulement ébahie pour sa part ; ses yeux trahissaient son étonnement. Mes jambes tremblaient, je n’entendis pas ses mots. Je tombais comme une masse, soulevant un peu de terre autour de moi. Tout mes sens étaient entravés, je retombais en enfance. J’étais paralysé. Pour la première fois dans ma vie, la situation m’effrayait au point de me clouer au sol.
Drôle de sensation.
Etais-je humain ?

Oui, il l’avait sentit aussi.

Aiden lâcha prise le premier. Je le regardais tomber au sol sans savoir bouger. Pour la première fois je sentais son désarroi et cette pensée, étrange et désagréable à la fois, me grisait de l’intérieur. Je me sentis soudainement triste. Mon euphorie et mes conclusions hâtives fondaient comme neige au soleil. Que se passait-il au juste ? Je ne le savais pas du tout et je refusais d’y penser, le jeune rat captivait toute mon attention. Je me penchais à sa hauteur et posai délicatement ma main sur la sienne. Je n’essayais pas d’envisager ses réactions et bien qu’un rejet puisse être blessant, je voulais tenter ma chance pour le réconforter. Tout ira bien … C'était une phrase cliché pour un être d'exeption. J'étais bête.

« Aiden … » Tentai-je d’une voix hésitante.

Nous étions humains. Tous les deux. C’était si peu croyable et pourtant mon corps ne me mentait pas. Mon cœur rata un battement. C’était bizarre. Bien que j’eue longtemps espéré arriver à ce résultat, je n’étais pas plus heureuse que ça et je me rendais finalement compte que j’avais passé des mois à haïr Morgan pour presque rien. Je pressai le T-shirt d’Aiden du bout des doigts, m’accrochant à un bout de tissu comme si c’était mon dernier repère. Qu’il a –t-il de si génial à être un rat ? Je ne le comprenais toujours pas, mais je connaissais les sentiments du jeune homme. J’ai été comme toi une fois. Perdre mes repères, mon identité, et ce à quoi j’étais habituée … Je sais. Je n’espérais pas retirer tous ses doutes en une fraction de seconde, mais je voulais bien essayer.

Je pris une grande inspiration en le fixant discrètement. Il avait l’air perdu, pas différent, juste perdu. La beauté de la nuit s’estompait peu à peu, laissant place à la froideur des ténèbres. Le silence salvateur était devenu pesant et effrayant. A ce moment là, je sentais mes émotions au quintuple. Mes genoux s’entrechoquèrent avant de rencontrer la terre et la poussière. Où est la lumière ? Un éclat lumineux pourrait peut-être me sauver de mes démons. Je poursuivais un rêve sans me rendre compte que ce n’était que le fruit de mon imagination, une chimère que je ne pouvais atteindre.

« La situation s’est inversée mais ce n’est pas grave. Être humain n’est pas grave. » Soufflai-je telle une promesse. J’essayais de relativiser. Pour moi, ce n’était pas aussi chaotique que ça. Mais je suppose que pour lui les choses étaient quelque peu étranges. Aiden avait vécu toute sa vie avec le rat, il avait appris à le supporter, à l’écouter et à vivre en harmonie avec la bête. Mes yeux s’embuèrent l’espace d’une seconde. J’avais mal. Une douleur si peu physique mais suffisamment intense pour me clouer au sol à mon tour. Voire les gens souffrir autour de moi, c’était pire encore que mes mutations violentes, les moqueries rasoirs du rat et mes moments de déprime incessants. Les battements de mon coeur se perdaient dans un dernier souffle d'humanité. Je retrouvais l'âme souillée d'une jeune femme. Un face à face entre deux inconnues.

Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. Et quant à celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour. * Nietzsche*

J’étais humaine, mais je ne redevenais pas pour autant la même Sara. Mon enfance m’échappait, les visages étincelants de mes parents n’étaient plus qu’un doux songe que je m’évertuais à oublier. J’avais trop changé pour rebrousser chemin. Dans la cruauté du combat, j’avais fini par succomber, j’étais devenu un monstre à ma manière et à mon tour. Avec où sans le rat.

Mes yeux à nouveaux rieurs et marrons rencontrèrent le visage d’Aiden. Il n’avait pas changé d’un pouce mais ses grands yeux bruns débordaient d’expressions nouvelles. Je souris. Il était beau.

Désespoir.
La nuit n’avait soudainement plus rien d’agréable, et toutes les significations qui lui étaient avant rattachées avaient disparues en même temps que le rat ; ainsi que mes repères. L’obscurité enveloppait mon corps de son manteau glacial, et je me sentis rapidement bien chétif dans ma peau. Vulnérable, impuissant. Les évènements me dépassaient. Avant, j’étais un rat, un des rats les plus importants de New-York, et en une seconde, j’étais devenu… rien. Rien qu’un point, un homme perdu dans l’immensité du monde, un homme sans défense, à la merci de la pénombre et du froid ; un homme comme tout les autres. J’avais perdu mon identité, ce qui faisait que j’étais moi. Je criais silencieusement à l’aide, me recroquevillant sur moi-même, comme l’avait pu faire Sara lors de notre dernière rencontre. Etrange coup du destin. J’avais froid, j’avais peur. Mes seules pensées résonnaient en moi, tout n’était plus que silence, le vrai. Mes yeux vacillaient, de gauche à droite, de haut en bas, cherchant du réconfort dans leur entourage sans en trouver. Tout d’un coup, tout était différent ; il n’y avait plus rien de familier. Je me sentais menacé… nous étions menacés. Au-delà de la préoccupation de ma petite personne, je n’arrivais à comprendre ce qu’il nous arrivait. Pourquoi nos garous avaient-ils disparus ? Je ne trouvais d’explication rationnelle, ce qui m’inquiétait davantage. De toute manière, j’étais cloué au sol. A l’instant même où le rat avait été évincé de mon être, j’étais devenu un poids, une erreur. Etais-ce ce que Sara avait ressenti en devenant des nôtres ? Je comprenais maintenant que je n’avais pu vraiment l’aider, et qu’elle ne le pourrait vraiment pour moi non plus.

« Aiden … »

Plus que jamais à cet instant là, j’aurais voulu savoir ce qu’elle pensait, savoir si elle avait pitié de moi. Je ne voulais pas de ça, j’avais gardé mon orgueil. Soulagement. Tout de moi n’était pas perdu. Sa voix chevrota mon nom, sans conviction, et je m’accrochais à sa voix comme on s’accroche à une bougie lorsqu’on est perdu dans le noir. Il faisait bel et bien noir, et j’étais bel et bien perdu. Ma volonté me quittait. Je voulais fermer les yeux, et quitter ce cauchemar. Mes paupières tombèrent lentement, et je comptais dans ma tête. Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq.alors, cap ou pas cap d’ouvrir grand tes pupilles sur le monde, le vrai ? Prêt à affronter ta nouvelle réalité, fillette ?. Ce songe malicieux était comme sa dernière pensée, la dernière image sournoise qu’avait voulue me délivrer mon rat, et j’ouvrais mes yeux chocolat, le souffle coupé. La solitude. Sara était là, mais je me sentais seul. Maintenant qu’il était parti, sa sournoiserie me manquait bizarrement. Je fixais la lune, considérant qu’elle n’avait plus rien de protecteur. Sûrement qu’au lever du soleil, je serais heureux, un minimum. Tout s’inversait. Je me rendais maintenant compte que sa main s’était posée sur la mienne. Merci… je n’arrivais pourtant pas à me relever. Mon visage fit la grimace.

« La situation s’est inversée mais ce n’est pas grave. Être humain n’est pas grave. »

Cela sonnait si faux, si irréel. Elle tombait à genoux, puis tombait totalement. J’eus un sursaut. Elle se tourna à nouveau vers moi, à terre cette-fois ci, et pendant une fraction de seconde, j’entrevis un sourire sur son visage angélique.
Espoir.
Je rassemblais mon courage et ma fierté, chassant de mon cœur toute ces craintes. J’étais et je restais Aiden ; personne ne pourrait jamais m’enlever cela.
Regardant Sara, je repris confiance, et m’extirpais de ma paralysie. Enfin. Dans cette nouvelle perspective que m’imposait la vie, mes sentiments virent un nouveau jour. J’étais libre, libre de mon clan, libre de mes obligations, libre de mes pensées négatives. Mes yeux pétillèrent, exprimant mon plus ravissement le plus profond…

Et je l’embrassais, simplement.

Le feuillage des arbres dansait sous la lumière délicate d’une lune, qui par un miracle divin avait accepté de laisser ses rayons filtré jusqu’à nous. Je quittais peu à peu le monde des ténèbres sans un regard en arrière, et pourtant je savais que je n’étais plus humaine. J’avais troqué une partie de mon âme contre un nouveau souffle de vie et la présence du rat où son absence n’y changeait pas grand-chose. Je soupirai en dévisageant Aiden. Je n’arrêtais pas de penser à lui. Il hantait mon esprit depuis des mois, et même aujourd’hui qu’il était en face de moi, des images flashs bombardaient mon cerveau de messages étranges. Je le voyais partout ; dans ma tête, dans mon cœur, devant mes yeux … Et c’est ce qui me faisait le plus peur. Oui, j’avais peur à en crever. Un spasme d’appréhension parcourue mon dos avant de me saisir par la nuque. Mon regard trouble se plongea dans celui du jeune homme lorsqu’il effleura mes lèvres. Je fermai délicatement les yeux, mue par une sensation d’évasion. Le marchand de sable saupoudrait ses grains sur ma chevelure de bronze, m’emmenant dans un pays imaginaire. Le temps s’était arrêté prisonnier d’une horloge de glace, qui à mon sens était complètement détraquée. Lorsque mes yeux s’ouvriront, j'heurterais la réalité et toutes ses cruautés. Je n’avais pas envie. Mes mains se déposèrent sur ses épaules puis j’empoignai sa nuque, le retenant un peu plus vers moi.

« Maintenant que c’est fait … Je suppose que tu vas mieux ? » Rigolai-je rouge pivoine.

Je me détachais lentement de lui. Le vide s’empara de moi me glaçant jusqu’au sang. Cette relation devenait malsaine. Nous étions amis mais je l’aimais bien plus que je voulais me l’avouer. Je crois même que je l’aimais tout court. J’avais peur du clan et du leader, et bien que nous soyons à présent humains, l’autorité de l’Alpha n’en demeurait pas moins présente dans mon esprit. Morgan me tuera par dépit. Et Aiden mourra à cause de moi. Je le regardai horrifiée. J’étais au pied du mur hésitant entre la voie du diable et celle du cœur, et pourtant à aucun moment je ne regrettais mes sentiments pour lui. Le vent bourdonna dans mes oreilles réprimandant la crédulité de mes pensées. Je me relevai tant bien que mal. Mes pieds toujours nus s’enfonçaient dans la terre. Avec un peu de chance des sables mouvants finiraient par engloutir mon corps tout entier et je n’aurais pas à subir de punition. Je rigolai comme une idiote en lui tendant ma main.

« Tu devrais te relever. » Lançai-je de ma voix fluette. « C’est sûrement temporaire. Les rats sont comme la peste : increvable ! Puis maintenant tu n’as pas à rentrer à Wererat town. On devrait se balader à Brodway NY, regarder une comédie musicale pour humains puis aller dans un hôtel de luxe. Il parait que le room service est super balèze! On boira des cocktails. Se souler sans les sifflements du rat c’est super. Tu devrais essayer, et manger plein de bonnes choses ça te changera du goût de la viande crue… Je t’apprendrais à apprécier les petites choses insignifiantes de la vie … Oui, on devrait faire tout ça … Ensemble … »

Je parlais vite et beaucoup. Pire encore, je ne disais rien d’intéressant. Je clignai des yeux avant de faire la moue. Il n'y ‘avait que moi pour me mettre dans des états pareils. Je gonflai légèrement mes lèvres avant d’éclater d’un rire jovial.

« Tu dois me prendre pour une folle ? Tu regrettes d’être venu par vrai ? Hein que tu regrettes ? » M’amusai-je en sautillant.

Je stoppai net et lui souris. Ce sentiment était comme le vent, plus j’essayais de me l’approprier puis j’avais l’impression de le perdre. Je savais que c’était douloureux de devenir autre chose. J’avais sombré dans le désespoir avant, mais j’avais appris à sourire en restant à ses côtés. Aiden m'avait sauvé. Depuis combien de temps ? Je ne savais plus ... Mon cœur était parsemé de cicatrices et j’avais fini par l’aimer parce qu'il était pareil. Idiote !

Je fis un pas en avant. Je le suivais telle une ombre. Aiden, et si nos chemins devaient se séparer ? Une larme perla au coin de mon oeil mais à aucun moment je ne cessais de sourire. J'étais heureuse. Il me rendait heureuse.

That man.

Prenant les devants à mon tour, je l'embrassai de manière plus tempérée.

Sentiments de liberté ; je m’évadais. Ainsi, la première chose que j’aurais apprise en tant qu’humain était le bonheur ; celui auquel on goûte de tout son soul, celui dans lequel on plongerait volontiers pour en être imbibé sa vie entière. Quand j’étais encore à demi-garou, j’avais parfois cru toucher du bout de mes doigts à la satisfaction, à la jouissance pure, mais je me trompais. Le simple fait d’abriter le rat avait voilé toutes mes émotions, positives comme négatives, et avait fait de moi l’homme impassible que j’avais toujours été, et ce en toutes circonstances. Délivré, ou plutôt, arraché de ma part obscure, les choses prenaient une tournure tout à fait différente. Et j’embrassais Sara. J’en étais moi-même étonné… Est-ce que sans le garou, je n’étais plus contraint à obéir aux règles qui régissaient le monde des garous ? Est-ce que j’étais réellement en droit d’agir selon ma volonté et non selon mes obligations ? Au diable tout ça, j’étais un nouvel homme, et j’avais l’impression, l’intuition que j’avais toute une vie à reconstruire. Détachant mes lèvres des siennes, je souris. Finalement, en commençant comme ça, ce n’était pas si mal. Même pas mal du tout ! Je me surpris à penser que passer ce reste d’existence en sa compagnie, dans l’anonymat, en oubliant tout le passé serait le pied. Sottises. Aurais-je réellement pu oublier mes racines, mes devoirs, mon rang ? L’appel du clan se faisait encore présent dans mes veines, j’avais passé toutes ces années d’existence à œuvrer pour la paix New-Yorkaise. Ce n’est pas ces quelques minutes qui effaceraient mon dessein. Sara me retenait contre-elle, et je me laissais faire, tout aise. Au fond, j’avais toujours su qu’elle ne me repousserait pas, mais ma peur de l’alpha m’avait poussé à agir à l’encontre de mes émotions.
Ce que je ressentais maintenant pour elle était plus fort que jamais. Comme si tout mon amour contenu dans mon cœur à demi-noir s’était tout d’un coup déversé dans mes veines, nourrissant mes sens d’une allégresse que je ne me connaissais pas. De façon immature, j’aurais pu me mettre à rire tellement j’étais épanoui. Le vent caressait mon visage, et je souriais à la jeune femme. Etrange ; d’un instant à l’autre, j’étais tombé du yang au yin.

« Maintenant que c’est fait … Je suppose que tu vas mieux ? »

Elle rougissait à vue d’œil, et je constatais qu’elle était encore plus mignonne ainsi. Je hochais la tête, ce grand sourire étirant mes lèvres. Aller mieux était encore un euphémisme ; j’explosais de bien-être ! Je n’en restais tout de même pas moins perdu. Chaque odeur, chaque sensation m’était nouvelle. Même ce baiser était une expérience. J’étais bien sur Terre, mais je la voyais désormais d’un angle différent. Et ça changeait… tout.

« Tu devrais te relever. C’est sûrement temporaire. Les rats sont comme la peste : increvable ! Puis maintenant tu n’as pas à rentrer à Wererat town. On devrait se balader à Brodway NY, regarder une comédie musicale pour humains puis aller dans un hôtel de luxe. Il parait que le room service est super balèze! On boira des cocktails. Se souler sans les sifflements du rat c’est super. Tu devrais essayer, et manger plein de bonnes choses ça te changera du goût de la viande crue… Je t’apprendrais à apprécier les petites choses insignifiantes de la vie … Oui, on devrait faire tout ça … Ensemble … »

Mes yeux brillèrent de plaisir, et je me contentais de l’écouter, de l’observer. Je ne pouvais détacher mon regard du sien, hypnotisé. Toujours aussi bavarde, mais j’aimais tant l’écouter. Je buvais d’ailleurs ses paroles, comme si je n’avais jamais entendu parler de ses endroits là et qu’ils étaient pour moi tel un conte de fée. Dit par Sara, c’était un peu ça. J’opinais du chef, à nouveau.

« Tu dois me prendre pour une folle ? Tu regrettes d’être venu par vrai ? Hein que tu regrettes ? »

Elle riait et riait à nouveau, sautillant, dansant dans la nuit qui se faisait soudain si belle pour nous. Y avait-il un véritable nous ? Je priais que ce soit le cas. Je la laissais m’embrasser plus longuement, m’abandonnant à elle. De toute manière, cela faisait longtemps que je lui avais vendu mon cœur ; bien plus longtemps que je ne voulais bien me l’avouer. Je joignis mes mains aux siennes, et l’entraînais à ma suite, le long de la rivière. Nous avions désormais tout notre temps ; pas de lever de soleil briseur de rencontre. Je m’arrêtais pour l’enlacer, n’osant pas jusqu’à prononcer ses mots là, alors que les sentais vivre en moi. Pourquoi ? Cela allait au-delà de ma fierté personnelle. Non, j’avais peur. Peur qu’elle ne pense pas comme moi, maintenant que je n’entendais plus ses pensées.

Sara, je t’aime. Est-ce que tu peux le voir ? Le sentir ? Le comprendre ? Partage avec moi… je t’en prie…

Why does my heart feel so good ?
Why does my soul feel like that ?

J'étais le pantin du destin. Mes fils s'entremêlaient les uns aux autres mais mes idées restaient claires. Je me laissais aller dans ses bras, nichant ma tête dans son cou comme si c'était la place qui me revenait de droit. Son odeur était aussi enivrante que dans mes souvenirs, et bien que son rat ait disparu quelque part dans l'immensité du noire, je savais que c'était la même personne.

« Tu es soudainement bien affectueux. » Susurrai-je à demie voix.

Nous regardions la lumière discrète des étoiles s'évanouir à la surface tranquille de l'eau. C'était apaisant. Je n'avais pas sentie une telle quiétude depuis des années, peut-être même n'y avais-je jamais goûté avant. Je souris en m'accrochant à lui, de peur qu'il ne s'échappe autre part. Le rat pourrait revenir aussi soudainement qu'il était partit, Aiden remettrait alors son masque d'impassibilité et je redeviendrais un visage inconnu parmi tant d'autres. Le souffle me manqua. ça me faisait mal de songer à lui de cette façon. Je me penchai doucement, reprenant mes esprits et mes escarpins au passage. Le clan des rats pouvait briser mes élans de joie à nouveau ... Saloperie. Morgan m'affectionnait-il assez pour me laisser filer ? Aiden ne parlait toujours pas, mais les mots n'avaient jamais étaient importants. Nos échanges étaient muets mais je le comprenais à ma manière, et c'était plus que suffisant pour que je l'aime. Éperdument. Follement. Suffisamment pour devenir lâche.

« Tu ne lis plus mes pensées, je suppose. Tu dois être frustré. Devrais-je penser à haute voix ? » Raillai-je.

Je me mis à sa hauteur, amusée. Je voulais lui avouer la teneur de mes sentiments, mais ces mots sonnaient ridicules à mes oreilles. J'étais bouche-bée face à l'intensité de ce lien qui dépassait les normes de l'amour. Nous étions cousins dans la douleur, perdus dans le même tourbillon de cruauté mais à force d'efforts j'avais fini par découvrir une lueur d'espoir dans le désespoir, une promesse de bonheur dans la torture quotidienne: Aiden, je n'ose même pas le prononcer pour moi-même...

« Ce serait peut-être trop embarrassant ... » Songeai-je finalement en le pointant du doigt.

J'haussai les épaules en levant les yeux au ciel. Mon cœur me malmenait, partant dans des délires et des battements démesurés. L'excitation s'étendait partout dans mes veines et mon corps. C'était encore mieux que dans rêves. Ma voix chuchotait suavement des refrains mielleux. C'était la fanfare, les feux d'artifices, les montagnes russes et tout ça à la fois. J'ai envie de te le dire ... Je voulais le prendre dans mes bras comme pour adresser une prière aux Dieux. Mais c'était une requête trop stupide. Je redoutais la vérité autant que la réalité. En fait, j'avais tendance à amalgamer les deux. Il y'en avait assez dans ma vie pour me faire sombrer. J'avais besoin d'un escape.

« C'est le moment où on se met à poil !» Riais-je. « Je veux dire ... L'eau ... »

Je fis un pas dans l'eau souillée de la rivière. Maintenant que la bête avait quitté mon corps, je sentais le danger me guetter. Un frisson me parcouru. Et si nous mourrions? Il n'avait plus personne pour me sauver, et je finirais au fond d'un récif de corail, me décomposant morceau par morceau. Bon d'accord, j'avais tendance à prendre Fresh Kill pour les larges côtes d'Australie mais je rebroussai quand même chemin. On est jamais sûr à 100%.

« Réflexion faite: Mauvaise idée. A la base ce n'était qu'un prétexte foireux pour t'enlever tes vêtements. J'avais pas calculé que tu serais plus... accomodant. » Blaguai-je tout simplement.