Je n’aimais pas particulièrement les ferry boots. En fait je me demandais s’il y avait bien quelque que j'aimais ici bas à part chasser et tuer. C’était effrayant de penser de la sorte. Je me demandais souvent quand est-ce que j’étais réellement devenu comme ça : Loup-garou par excellence. Il m’avait pourtant semblé que j’avais gardé mon humanité au tout début. Elle s’en était allée avec le temps je suppose. Foutaise quand tu nous tiens !

J’enfonçais mes mains dans les poches de mon jean levis extensible. Je n’étais pas spécialement riche, mais je n’y allais pas par le dos de la cuillère avec les dépenses. Il fallait bien que j me paye des vêtements assez solides pour résister à mes assauts bestiaux. Me retrouver à poil dans le rue, bien que je sois sacrément bien fouttu, c’était pas le top ! Le froid, le regard des gens … Tout cela m’énervait à un point! Un grognement m’échappa sans que je m’en rende vraiment compte. Pfiou …

« Chiottes ! »

Je lançai un regard perdu vers l’entendue de l’océan. C’était beau, limpide et étrangement bleu. Je me surpris à penser à la vie maritime. Y avait-il des hommes poissons, ou des requins humains ? Cela semblait invraisemblable mais qui aurait un jour cru que les garous existaient vraiment ? Qu’ils sortiraient de l’ombre pour croquer tous ce qui était bon à bouffer ? Personne ! Il y a encore quelques années personnes n’y croyait vraiment. Un sourire idiot se traça sur mon visage. Me voilà presque aussi crédule que les humains.

Je fermai les yeux et respirai l’air frais d’un air dégagé. Il sentait bon la liberté et la vie. Il n’y avait pas l’odeur ferreuse du sang, la puanteur des rats, ni même l’angoisse constante des non garous. Je me surpris à apprécier respirer. Pour une fois tiens !

« C’est bon. » Murmurai-je au vent qui chatouillait mes cheveux ébouriffés, quand je sentis une odeur étrange. Je grimaçai avant de froncer les sourcils. C’était l’odeur du diable. Daemon était là ? J’en doutais fort. Je l’aurai su avant. Je me retournai en pistant l’origine de cette senteur. Je clignai les yeux en apercevant un jeune homme accoudée à la rambarde du bateau. Je m’approchai d’un pas de velours. Ce n'était pas un incube, mais il y avait en lui la même essence que l'alpha incubus.

« Tu devrais faire attention à ne pas tomber. » Commençai-je. « J’ai entendu dire qu’il y avait des hommes poissons … » Blaguai-je maladroitement.

Bon d'accord, il avait fort à parier qu'il me prendrait pour un crâneur. Mais tant qu'à faire franchement ? Je m'approchai de lui sur la défensive. Je le savais garou. Ma bête reniflait son odeur à l'afflux d'un indice sur sa race. J'avais entendu dire que Daemon avait des origines rats. Je fronçais les sorcils sans le quitter du regard. Il fallait que j'en ai le coeur net!

« Nous vivons au milieu d'une mer de pauvreté. Néanmoins on peut réduire cette mer. Notre travail n'est qu'une goutte dans un seau, mais cette goutte est nécessaire. »
[Mère Teresa]

La pauvreté n’était un mot que l’on employait à tout va, et ce dans des contextes différents. Après tout, chaque homme était pauvre de quelque chose, que ce soit d’argent, de valeurs, d’intellect, ou de rapports sociaux. Mais personne ne semblait s’en rendre compte. Sinon, pourquoi afficheraient-ils tous des sourires aussi idiots sur leurs visages respirant la satisfaction de soi ? Accoudé au bastingage du ferry, l’homme aux cheveux bruns et aux yeux d’un brun hostile se questionnait. Comment le monde pouvait-il tourner rond ? L’exécration humaine empoisonnait la nature chaque seconde un peu plus, maléfice sournois de l’hypocrisie, de l’égocentrisme et de la jalousie. Tous ces sourires n’étaient qu’un mensonge universel qui se transmettait de générations en générations, un voile fragile pour préserver le bonheur éphémère et dissimuler la tristesse quotidienne aux yeux de tous.
La pauvreté.
Voilà ce qu’elle était ;
Une réalité que personne ne voulait accepter.

Cela faisait bien longtemps qu’Aiden avait déchiré ce linceul illusoire pour découvrir la vérité du monde dans lequel il vivait. Plongé au cœur même du vice humain, chaque nuit passée dans New York était pour lui comme un pic de glace enfoncé dans son cœur. Les races qui y vivaient se détruisaient mutuellement, dans une lutte éternelle, sans que jamais ne se profile un vainqueur. Quel chaos inutile, songea-t-il. Son leader voulait rassembler tous les clans en un seul, et créer une paix qui unifierait la ville entière. C’était cette goutte d’eau nécessaire au milieu de l’océan de pauvreté, et Aiden mettait toute sa bonté dans ce combat pour une vie plus saine.

La mer apportait du repos à son âme tourmentée. Il semblait qu’il y eut fascination pour les vagues et l’écume, sans que l’homme sache pourquoi. C’était ainsi. Ses yeux se perdirent dans la contemplation du bleu maritime qui se profilait jusqu’à l’horizon, et son nez inspira l’air frais et iodé. Bonheur. Ou peut-être n’étais-ce qu’un mirage, une fois encore. Il ne savait pas, ne savait plus. Les choses avaient perdues leurs valeurs originelles, et chaque odeur dans ce monde nouveau lui était devenue étrangère. Depuis qu’il était rat, il avait tout à réapprendre.

« Tu devrais faire attention à ne pas tomber. J’ai entendu dire qu’il y avait des hommes poissons … »

Aiden se retourna soudain, adressant un regard emprunt de froideur intriguée à l’étranger. Qui était-il pour oser le déranger dans sa réflexion ? Le dédain était plus que net dans l’attitude du brun. La blague était tombée à un moment mal choisi, mais l’étranger ne pouvait pas le savoir.

« Même si cela était vrai, cela n’aurait aucune importance. Je suis plus à craindre que les hommes-poissons. »

Un sourire carnassier se traça sur le visage du jeune loup. Cet inconnu semblait être un adversaire à sa taille. Un éclat de rire malsain lui échappa. C’était bête de le mettre comme ça dans la case adversaire, dès le départ. C’était un fait mais il dégageait une telle froideur, et une telle étroitesse d’esprit aussi. Sa langue kératinisée claqua contre son palais, signe premier de son insatisfaction. Le vent qui soufflait tout autour lui donnait l’impression de flotter au fur et à mesure qu’il avançait vers son interlocuteur. L’odeur de la mer emplissait ses narines de sensations bizarres mais intenses. C’était rafraichissant de sentir la proximité de mère nature. Caleb leva les yeux au ciel et observa rapidement la clarté du bleu. Il enfouit par la suite ses mains dans ses poches, tout en haussant les épaules. C’était puérile et très humain de sa part de rêvasser en plein jour.

Le loup qui habitait son corps, chantonnait des mélodies de guerre et de provocation qui ne le laissaient pas de indifférent. Son cœur palpitait au rythme des notes, invoquant ainsi ses sensations les plus primitives : Rage, bestialité et fougue. Il serra les poings en sentant ses muscles thoraciques se contracter. Caleb pensait que la frénésie du combat était encore plus délicieuse et délectable que la victoire elle-même. La mort était le grand salut des guerriers et non une faiblesse. L’inconnu ne l’effrayait plus depuis un bout de temps. Plus précisément depuis le jour de sa transformation. Au début il s’était cru maudit mais il avait finit par se trouver une raison. Il avait finit par abandonner ses idéaux et à combattre au près des lycans. Défendant de nouvelles idées, pour une nouvelle vie. La sienne. La bête ricana dans sa tête. C’était apaisant de la sentir en toute circonstances. Elle était toujours là, qu’il neige qu'il pleuve où qu’il vente. Qu’il soit en danger de mort où à l’apogée de l’orgasme. Caleb n'était jamais complètement seul. Pourtant il avait vécu la plupart de son temps isolé du reste du monde. C’était un vrai handicapé de la parole, qui avait peiné à se faire place parmi les groupes sociaux normaux. Alors aujourd’hui, il se sentait en harmonie avec sa bête. C’était sa seule et unique. Sa présence encore plus que la force qu’elle lui insufflait … C’était magnifique. Il grogna, en s’accoudant à la barre.

« Les poissons ne craignent pas les rats. » Se moqua-t-il d’un air dégagé.

Il n’était ni trop hautain, ni trop provocant. Il ne se laissait juste pas faire. Sûrement son caractère de mâle dominant. Il ricana en plongeant son regard une seconde fois dans le bleu de l’océan : infiniment froid.

« Je croyais que votre Alpha voulait allier tous les clans. Votre façon d’opérer laisse à désirer … »

Sa présence lui était tout à coup désagréable, il regretterait presque de lui avoir parlé en premier. Mais c’était fait à présent, et la provocation avait déjà eu lieu. Caleb, se voyait déjà régler le conflit par un corps à corps sanglant. Bien sûr, la tête de ce fouttue rat finissait empalée quelque part, assez haut pour que son odeur puante ne parvienne pas jusqu’à lui. Il toisa son adversaire du regard une seconde fois. Ce n’était pas un débutant. Il pouvait le sentir à son âge, et aussi à la noirceur de ses traits. Il devait avoir plus d’expérience avec son garou, et accessoirement plus de pouvoirs. C’était un rat, rien d’étonnant ! Ces sales bêtes pouvaient être si rusées et vils parfois. Mais il n’avait pas peur. Il était prêt à faire face. Ses yeux s’injectèrent peu à peu de sang.

La méfiance, toujours. Toute rencontre était source de suspicion ; Aiden se protégeait toujours d’avance, un réflexe qu’il avait acquis au fil des ans. Il ne pouvait pas se permettre le luxe des erreurs, pas se permettre un sourire avenant sans avoir au préalable dressé une barrière défensive autour de lui, son esprit se focalisant sur la cible et détaillant le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles. Il fallait d’abord qu’il sache à qui il avait faire, quel danger potentiel pouvait représenter ou non l’inconnu. C’était la règle qu’il s’était fixé, car après tout, même si personne ne le savait, il était tout de même le bras droit de l’alpha des rats. Morgan comptait sur lui, et Aiden ne comptait pas le décevoir. D’ailleurs, c’est entre leurs mains que reposait l’avenir, à les entendre parler de leur idéal qui ne verrait pas le jour avant de longues années. C’était l’histoire d’une vie, un travail acharné au quotidien visant à regrouper toutes les races sous une seule et même bannière, les unifier dans le but de créer la Paix, mais pas une paix provisoire, non, une paix éternelle. S’il avait clamé cette idéologie en pleine rue, tout le monde l’aurait pris pour un fou, mais, peu à peu, jour après jour, Morgan et lui s’évertuaient à convertir les leurs, les autres garous et les humains à leur optimisme pacifiste.

L’homme qui lui faisait face était garou, cela ne faisait aucun doute. Lisant dans son esprit, Aiden pouvait ressentir la présence de la bête. Les pensées qu’il exprimait étaient si complexes et multiples qu’elles ne pouvaient provenir d’un simple humain. L’inconnu semblait plutôt bien maîtriser ce qui vivait en lui, aussi la barrière protectrice d’Aiden se renforça-t-elle. Prudence, les garous étaient parfois impulsifs, et la survie d’un rat comme lui ne dépendait que de son intelligence, et non pas de sa force. Aiden observa rapidement la mer ; même si c’était beau à regarder, il n’avait jamais été bon nageur, et en cas d’attaque surprise, cette solution n’était pas vraiment envisageable… Il soupira. Lui qui désirait juste passer un moment de détente. L’homme s’accouda auprès de lui, un rictus déplaisant au visage. Il respirait la confiance en soi, tout comme Aiden d’ailleurs. Comme quoi, ce dernier n’était pas le seul à se croire tout puissant.

« Les poissons ne craignent pas les rats. »

Ainsi donc, il savait. C’était à prévoir. Ils se jaugeaient tous deux comme deux duellistes moyenâgeux, intrigués par la présence de l’autre. L’inconnu faisait-il preuve d’humour ? Aiden ne put s’empêcher d’esquisser un sourire amusé. D’habitude, c’était lui qui provoquait les autres, et non l’inverse. Cette audace lui plaisait, même s’il était sur sa réserve. Quelles étaient les intentions du loup qui lui faisait face ? Aiden avait du mal à lire en lui.

« Je croyais que votre Alpha voulait allier tous les clans. Votre façon d’opérer laisse à désirer … »

Qu’importe ce qu’il pouvait bien entendre par là, cette réflexion piqua Aiden au vif. Qui était-il pour critiquer la vision des rats ? Personne ne le pouvait, car c’était l’idéologie la plus saine qui aie jamais vu le jour dans le monde garou. Aiden serra ses mains sur la rambarde du ferry, irrité, et sans même regarder l’inconnu, il lui retourna la pareille.

« Tout le monde n’a pas sa place dans le monde que nous créerons »

La bête d’Aiden remuait d’impatience, fulminant contre l’homme d’à côté. Mais il ne pouvait se laisser envahir par l’impulsion, dans un lieu pareil, il serait perdant, à tout les coups. Et il n’était pas près de quitter la vie, il se l’était juré.

« Tout le monde n’a pas sa place dans le monde que nous créerons »

La provocation. La manipulation. Ah ces rats !

Le jeune homme éclata d’un rire sans joie. Sa voix grave raisonnait dans sa propre tête telle le chant d’une guerre incessante et contestatrice. C’était la situation dans le monde des garous. Ils étaient en proie à la destruction pour une raison trop indécente pour être convaincante. Caleb ne se battait pas pour les mêmes principes de liberté. Il se battait pour le pouvoir des siens. La meute l’avait accueillit alors qu’il n’était qu’une loque humaine, et bien qu’il l’ait quitté afin de renouer avec le passé, il n’en demeurait pas moins attaché à ses valeurs lycans. Il était différent des autres, peut-être plus fougueux et un poil trop téméraire. Son esprit combattif lui ordonnait de défier le rat.

« Le monde est déjà crée, et ceci depuis un bout de temps … Réveille-toi. »

Un rire mesquin lui échappa alors qu’il se décalait de la rambarde. L’odeur du rat était chargée de sang et de mesquinerie. Elle lui rappelait vaguement sa dernière rencontre avec Daemon. Il grimaça en songeant à l’énorme cicatrice sur son garrot. Il n’aurait jamais dû se mesurer à plus grand que lui, mais le loup y avait poussé à cause de cette foutue addiction pour la personne choisie. Son imprégnation avait faillit lui coûter la vie, tiens ! No woman no cry … Il avait pas tord le Bob Marley !

Tss …

Caleb avait entendu que le diable avait des origines parmi les rongeurs, cette rumeur ne faisait que s’accentuer au fur et à mesure qu’il reniflait l’air ambiant. Il se crispa en serrant les poings. Cet homme n’était pas comme les autres, outre la froideur et la fourberie qui lui collait à la peau, il y avait quelque chose d’intriguant. Le loup s’agitait, fou de rage. Il sentait la force mentale de son adversaire et ceci ne le rendait que plus violent encore. Les rats n’étaient pas doués au corps à corps, et bien que certains d’entre eux étaient de vrais plaie … Leur race était plus connu pour ses pouvoirs de persuasion et de manipulation. Cette idée était horrifiante ! Caleb était au aguets, guettant le moindre geste du garou en face de lui. Sa bête était enragée, elle bouillonnait impatiente. Un peu trop impatiente.

« Pourquoi me provoquer si tu comptes rester planté là, à cogiter sur la meilleure façon de me manipuler … Vous les rats, vous prenez les gens pour des pantins. » Aboya-t-il. « Nous ne sommes pas des chiens. Nous sommes des loups, sauvages et indomptables. Nous sommes la loi. Les incubes et tous les autres mourront. »

Sa voix avait pris des tonalités plus graves, rappelant le timbre si particulier des monstres. En fait, c’était la bête qui sommeillait en lui qui, durant un cours lapse de temps, avait pris le dessus sur son humanité. Il souleva sa lèvre supérieure afin de dévoiler ses dents étroitement serrées les unes contre les autres. Habituellement, le jeune homme n’avait aucun de mal avec les autres races. Il ne détestait pas particulièrement quelques groupes de garous au détriment d’autres. Non, Caleb détestait tout le monde et c’était plus simple ainsi. Certes, il y avait quelques exeptions mais il les mettaient toutes sur le dos de la fougue et de la passion animales. Il se racla bruyamment la gorge, prêt à montrer de quoi il était capable.

Le rire du loup fusa dans l’air, brisant l’harmonie de la mer, le bruissement délicat des vagues contre la coque métallique. Aiden grinça des dents, dérangé dans sa quiétude par cet être malfaisant. Son regard chocolat le détaillait sévèrement, jaugeait ses muscles, et chaque expression de son visage. L’homme avait des yeux qui en disaient long. Sûr de lui, impulsif, et prêt à combattre. On aurait dit deux duellistes du Far West, au détail près qu’ils étaient sur un ferry, en plein milieu de la mer, seuls, et que leurs armes respectives étaient bien plus dangereuses que deux colts. Le rat-garou qui sommeillait en Aiden s’agitait nerveusement, conscient que le danger n’était pas des moindre. C’est ce qui différenciait sa race de toutes les autres : l’intelligence, la capacité à garder son sang froid en toutes sortes de situations, et de ne jamais prendre de décisions stupides. Le rat et lui étaient en harmonie, sur la même longueur d’onde : bien que ce loup les blesse dans leur amour-propre et que son arrogance était sans bornes, ils ne pouvaient se laisser aller à la fureur. Chacun de ses muscles se tendait, aux aguets d’une quelconque tentative. Aiden était en bien mauvaise posture. Pour une fois qu’il n’avait recherché le combat, c’était le combat qui venait à lui. Il grommela de lassitude. L’homme qui lui faisait face était un brin plus jeune que lui ; on lisait encore beaucoup d’inexpérience dans ses gestes maladroits.

« Le monde est déjà crée, et ceci depuis un bout de temps … Réveille-toi. »

Rire sadique. Manquait plus que ça pour achever d’irriter Aiden. Le loup cherchait visiblement le combat. Pourquoi ? Son cœur regorgeait de rancune et de soif de vengeance, ou de pouvoir, qui sait. Aiden suivait le fil de ses pensées sans rien rétorquer. C’était inutile ; il n’y avait apparemment besoin d’aucune huile pour que son feu s’embrase. Son garou tournait déjà à plein régime dans son corps ; Aiden pouvait le sentir. Et lui qui était venu chercher tranquillité sur ce bateau… Raté. Ce que le loup ne comprenait pas, c’est que ce monde était réversible ; que tout pouvait changer sous l’impulsion de l’alpha. Mais il semblait vouloir se cantonner dans une vie menaçante, ou à chaque virage nous attendait des surprises déplaisantes…. Comme celle-ci. Aiden ne voulait plus avoir à craindre le moindre garou qu’il rencontrait, ne voulait plus avoir à jouer les durs, les hommes invisibles, alors qu’il était le bras droit de Morgan !

« Pourquoi me provoquer si tu comptes rester planté là, à cogiter sur la meilleure façon de me manipuler … Vous les rats, vous prenez les gens pour des pantins. Nous ne sommes pas des chiens. Nous sommes des loups, sauvages et indomptables. Nous sommes la loi. Les incubes et tous les autres mourront. »

Sa voix résonnait dans l’esprit d’Aiden comme une raillerie désagréable, un poison auditif, de son avis. Les rats, prendre les gens pour des pantins ? Cet homme là avait une vision bien détournée de ce qu’était les rats. Et des loups aussi. La loi ? Aiden se laisse aller à un rire cristallin. Quelle bêtise monumentale ! Aiden ne savait qui avait planté ces idées là dans l’esprit du loup, mais il se fourvoyait (sauf pour les incubes). L’égocentrisme des gens de sa race voulait qu’il se croie plus fort que tous les autres, et c’est cet égocentrisme là qui menait à la guerre civile. Quel dommage…

« Je ne te provoque absolument pas. Et je ne sais pas de quelle loi tu parles. Actuellement, notre ville est ravagée par la guerre, et n’ose pas me dire qu’il y aura un jour un vainqueur. Ton comportement te mènera à ta propre perte, tôt. Ou tard. »

Ne comprenait-il pas que la paix était le seul moyen de s’en sortir, de survivre ?

Son odeur puante s’étalait sous les narines du jeune loup. Caleb pouvait sentir son mépris et son arrogance à plein nez. Et c’était ce qui l’offusquait le plus. Ce rat là avait le don de le mettre hors de lui. Il serra les poings, tentant vainement de canaliser son énergie. Il ne fallait pas qu’elle éclate dans un lieu aussi bondé de gens, humains où non. Ce serait une bêtise monumentale de sa part. Il se racla la gorge en fusillant le jeune homme du regard. Ses yeux étaient sournois, sombres, mais ce n’était au final qu’un trait caractéristique de son espèce. Son rire moqueur gronda dans sa gorge avant de raisonner dans l’air ambiant.

« Je vois que tu crois en cette paix, utopique et idéaliste que prône ton Alpha. C’est si bête de la part des garous que tout le monde décrit comme étant les plus intelligents. »

Sa voix était glaciale et étrangement sarcastique. Il haussa les épaules d’un air dégagé, presque désinvolte comme s’il n’était pas du tout concerné par cette stupide guerre. Et il ne l’était pas. Caleb se battait pour une cause différente. Son combat était celui des loups et non de l’humanité. Il aspirait à une puissance éternelle, à un pouvoir grisant et sans limites. Il voulait détrôner son propre Alpha afin de gouter aux plaisirs mesquins d’un roi déchu et sans peuple. Il voulait ramener sa meute de Seattle et l’installer dans une ville nouvelle où il aurait toutes les commandes. Il rit. Le loup qui l’habitait hurla dans ses oreilles comme hypnotisé par une pleine lune qui n’existait pas. Caleb sentit les battements de son cœur s’affoler : Fureur, frénésie et chasse. Le mal se répandait en lui telle une fièvre salvatrice et destructrice à la fois. Il se savait invisible, bien que plus jeune et inexpérimenté que le rat en face de lui. Son loup n’était pas comme les autres. C’était l’hybride puissant entre le loup des montagnes et le chien errant du village. Arrogant, fougueux, indomptable et libre. Il serra la mâchoire avant de soulever sa lèvre inférieure, dévoilant une rangée de dents blanches et aiguisées. Sa langue claqua contre son palais avant de pendouiller à l’extérieur de sa cavité buccale.

« Je n’ai pas peur de courir à ma propre perte. Du moment que je me bas pour les choses qui me tiennent à cœur. Vois-tu, nous les loups, nous avons des valeurs. Nous sommes loyaux. Nous avons besoin de bouger, de tuer. Une vie d’oisiveté et de paix serait pareille à la mort. »

Il fit un pas en avant. Sa démarche bien que peu assurée avait quelque chose d’impériale. Une sorte d’aura machiavélique et grossière qui contrastait avec les traits fins de son visage. Caleb n’était pas une mauvaise personne, il se laissait juste un peu trop emporté par les vents et marrées. Et Jaquelin Woll, sa créatrice, en était la preuve même. Elle avait fait de lui son loup. L’homme qui offrirait sa vie pour des idéaux qu’elle avait façonné et inculqué à toute la meute. Elle avait vu en lui la force et le courage alors qu’il n’était qu’une âme en peine. Elle lui avait appris à exister avec sa ‘ maladie’. Devenir un garou, ou se transformer en un gigantesque loup poilu et redoutable, ce n’était pas aussi désagréable que ça en fin de compte. Le processus était douloureux mais c’était le karma. La balance qui rétablissait l’équilibre entre ses crimes et ses souffrances.

« Tu m’as l’air d’un homme intelligent. Tu devrais détaler avant que je ne perde mon sang froid. » Siffla-t-il à quelques centimètres de son visage. Son œil gauche clignait bizarrement, sûrement la tension qui augmentait. Il émit un éclat de rire. « Fuir, voilà votre seule chance de survivre. »

Caleb n’était pas aussi provocateur en temps normal. Il était certes suicidaire et n’avait aucune analyse de risque, mais il était loin d'être un homme ténébreux et aussi frivole. Or, ses paroles et ses gestes étaient de plus en plus maladroits. Son impulsivité le guidait aveuglément vers un duel dont la victoire n’était pas certaine. Il ne savait rien de son rival. Rien du tout. Et du peu qu’il laissait transparaitre, il se doutait bien que ce n’était pas n’importe quel rongeur.

Les loups avaient toujours étés les garous les plus arrogants qui soient. Ils se croyaient tout simplement supérieurs, et n’avaient jamais doutés de leur victoire sur les autres races. Seulement, voilà des années que la guerre durait, et si les loups avaient étés un peu plus intellectuels, sans doute auraient-ils compris que la victoire ne leur reviendrait pas, jamais. Bien évidemment, en tant que rat, Aiden croyait dur comme fer que la paix était la seule solution ; c’était l’idée qu’on s’était acharné à lui implanter dans le cerveau depuis sa naissance, et il l’appliquait plutôt bien. D’ailleurs, il l’appliquait tellement bien que d’après l’homme qu’il avait en face de lui, se n’était qu’une illusion.

« Je vois que tu crois en cette paix, utopique et idéaliste que prône ton Alpha. C’est si bête de la part des garous que tout le monde décrit comme étant les plus intelligents. »

Utopique, hein ? Aiden ravala son mépris, et tenta d’évacuer sa colère du mieux qu’il put. Cette rencontre, c’était le choc de deux visions totalement opposées, la rencontre entre deux idéaux sans aucun point commun, et cela ne pouvait qu’amener à une discussion musclée. Evidemment. En parlant de muscles, Aiden frissonnait à la pensée que son adversaire en avait plus que lui. L’autre, le garou, il haussa les épaules comme si ce qu’il disait était logique. Pitoyable, songea le rat comme l’humain. Le bras droit de la race la moins populaire des garous se tenait droit prêt du bastingage, muscle crispés, prêt à tout. Ce n’est pas qu’il avait peur, mais que la situation ne lui inspirait rien d’engageant, et il était de nature méfiante… Après tout, le loup n’avait aucune raison de tenter un coup d’éclat ici. Il n’avait rien à y gagner, sinon renforcer son amour-propre – si cela eut encore été possible, car il débordait de vanité. Soupir, et re-soupir. Le mâle inconnu jouait la carte assurance, et d’ailleurs il respirait l’orgueil. Sûrement qu’il devait se croire imbattable, et qu’il ne craignait même pas un tant soit peu Aiden. Dommage, cela l’aurait arrangé… Pourquoi avait-il fallu qu’il choisisse de prendre le bateau, ce jour-là ? Il manquait vraiment de chance. Lui qui avait voulu apaiser sa conscience en observant le grand bleu, c’était l’exact inverse qui se produisait. Tant de raisons de le faire rager… Il n’avait jamais été aussi énervé, lui qui d’ordinaire gardait un calme olympien. Ce n’était pas normal, mais cette rencontre n’avait en soi rien de normal. Aiden n’avait pas l’habitude d’être confronté aux autres races, sans avoir le choix. Son travail quotidien consistait en repérer des cibles telles que des garous plutôt faciles à manipuler, enclins à donner leur confiance à un inconnu qui leur promet de l’aide et des amis, et surtout : la paix. Tant de choses qui faisaient que la vision du futur des rats trouvait plus de partisans que celle des autres ; logique. Mais ils avaient beau y faire, cela ne changeait rien, ou pas grand-chose.

« Tu m’as l’air d’un homme intelligent. Tu devrais détaler avant que je ne perde mon sang froid. Fuir, voilà votre seule chance de survivre. »

Aiden le toisa du regard, méprisant et jaugeant la cible à la fois. Il ne lui ferait certainement pas ce plaisir, ça non. Intelligent, il l’était ; faible, trouillard, jamais. De la maîtrise de soi, voilà ce qu’il manquait aux loups.

« Je n’ai aucune intention de me battre. Si tu trouves un intérêt dans une lutte, ici, maintenant, fais-moi-en part, car je doute de saisir ce que tu cherches réellement. »

Le brun cligna lentement des yeux, croisa les bras sur sa poitrine. A vrai dire, malgré sa haine et sa colère, il était un peu perdu.

Caleb ne détestait pas spécialement les rats. Il n’y avait aucun intérêt quant à haïr une race plus que les autres. La réalité c’est qu'il détestait tout le monde d’office, son garou y compris. Et dès que son regard s’était posé sur le jeune rat en face de lui, il avait senti son mépris gronder en lui tel le tonnerre des jours frisquets de Décembre. Il cilla à peine en le regardant de haut, puis il le pointa du doigt.

« Tu ne dois pas être fan des démonstrations d’affections. Il n’y a rien de mieux que le corps à corps. Tu passes sûrement trop de temps à réfléchir aux conséquences de tes actes, pour te délecter de la puissance de tes poings. Je ne suis pas comme ça. J’ai besoin de sang. Bien que le tien ne m’ait pas l’air très appétissant. »

La rire moqueur du loup raisonna dans toute l’étendue du ferry, mêlé au brouhaha de la cohue, au son des vagues, et au murmure du vent. L’homme en Caleb n’était nulle part. Il était complètement refoulé en arrière plan par la majesté d’une bête sanguinaire et sans scrupules. A cet instant là, il n’était plus maître de lui. Et bien qu’il ait un certain pouvoir sur sa bête, il la laissait volontiers tenir les rennes de peur de sombrer dans son côté le plus obscur. La confusion, le doute, et l’anticipation étaient le lot quotidien des humains. Mais quand il était un loup, il pouvait s’exprimer sans une once de toutes ces choses. Il était à la fois grand et fort. Il se sentait invincible, et la carrure du rat bien que loin d’être chétive, ne l’impressionnait en rien du tout. Soyons réalistes, qui ferait le poids face à l’hybride entre le chien galeux et le loup ?

« Parfois, j’ai peur du mal que je peux causer. Tu ne dois pas connaitre ce sentiment, tu es trop occupé à boulotter le papier des ouvrages que tu prétends lire. » Se moqua-t-il d’un air suffisant. « L’homme c’est l’action. »

Il sentit son garou gigoter au creux de ses reins. Son plein pouvoir circulait dans son système telle la peste, ou la mort. Le bleu avait tout à coup perdu toute son immensité et sa beauté. Tout lui parut soudain si futile. Lui y compris. L’idée de mourir en vain ne lui déplaisait pas trop. Il n’avait pas de cause à défendre. Personne à aimer ni à protéger. Et malgré son imprégnation, son passé douteux … Il continuait à croire qu’au fond, un sommeil éternel, pourrait le laver de tous ses péchés. La douleur de la mutation : la balance qui rétablissait l’équilibre entre ses crimes et sa conscience. La grande loi du karma ! Caleb avait l’impression d’être brisé en deux : La faiblesse et la force. L’homme et la bête. Ses genoux vibraient sous le poids de son amertume.

Tu es imbattable. Ça a l’air démesuré. Je ne comprends pas. Pourquoi veux-tu le changer ?

Il grogna en secouant la tête comme s’il n’y avait personne autour. Les battements effrénés de son cœur raisonnaient dans ses oreilles tel un appel au sang et à la guerre. Il jappa, se tortilla puis ses os craquèrent sous la pression de ses émotions. Son corps tremblait sans se recouvrir de poil. Son aspect était humain mais il y avait dans son regard toute la férocité du monstre. Ses pupilles partaient en vrilles, dans des convulsions qui auraient pu le tuer si ce n’était le contraire. Sa main empoigna le jeune homme par l’épaule puis par la gorge. Caleb marmonna un juron dans une langue incompréhensible avant d’envoyer son adversaire valser contre l’habitacle en acier du bateau. La rage excitait sa vanité. Il ne pouvait plus s’arrêter à présent. Il avait l’impression de flotter dans l’espace, s’imprégnant de la folie qui emplissait sa nouvelle vie plus trépidante et amusante encore que celle qui avait rêvé de mener un jour.

« Et maintenant tu saisis ? »

Toute cette colère contre le monde, garou ou humain. Toute cette douleur et la mémoire d’un homme qui s’effaçait toute seule. Il soupira. Ma vie m’échappe. J’oublie. J’existe.